PLUS DE 120 ANS après les premiers essais humains d'un vaccin contre la rage par Louis Pasteur, cette maladie – pourtant parfaitement accessible à la vaccination – reste d'actualité, en particulier en Afrique et en Asie du Sud-Est. Suivant la tradition pasteurienne, des équipes du réseau des instituts Pasteur continuent leur recherches sur les infections à Lyssavirus.
Épidémiologie
Pour comprendre l'impact actuel de la rage sur la santé des populations, il est essentiel de disposer de données épidémiologiques actualisées. L'OMS estimait en 2007 que la rage était à l'origine de 55 000 décès dans le monde. L'équipe du Dr Sirenda Wong (institut Pasteur du Cambodge) a voulu confronter les données officielles à la réalité clinique du pays. À Phnom Penh, l'institut Pasteur est le seul établissement à délivrer un traitement postexposition et à réaliser des tests diagnostiques humains et animaux. Pour estimer le nombre de cas réels survenus dans le pays, le Dr Wong a pris en compte, outre la taille de la population (40 millions d'habitants), le nombre des traitements postexposition, celui des cas suspects humains et des animaux autopsiés. Au total, entre 1998 et 2007, 143 000 personnes ont bénéficié d'un traitement, des autopsies ont été réalisées sur 60 malades (dont 44 cas confirmés par immunofluorescence) et 13 255 animaux (97 % de chiens et près de 50 % d'animaux malades). Sur les 596 chiens atteints, 88 % vivaient dans un rayon de 200 km de la capitale. Les infectiologues ont ensuite extrapolé le nombre des cas à partir de celui de morsures de chiens établi par les données de santé publique. «En 2007, le nombre des décès dus à la rage devait être proche de 117 dans la région de Pnom Penh et de 810 dans le reste du pays. L'incidence réelle pourrait donc être jusqu'à cent fois supérieure à celle couramment admise par les autorités sanitaires locales. Au total, la rage tue encore au Cambodge jusqu'à 1,5fois plus que le paludisme et 3fois plus que la dengue. Il est néanmoins possible que ces chiffres soient légèrement surestimés puisque le traitement postexposition est gratuit et que, de ce fait, le recours des populations informées à l'institut Pasteur soit excessif et que certains sujets soient traités en l'absence de risque réel d'infection», conclut le Dr Wong.
Les souches de Lyssavirus qui circulent.
Les instituts du réseau pasteurien ne se contentent pas de traiter et de mener des analyses épidémiologiques. Des travaux phylogénétiques et physiopathologiques sont aussi en cours. L'équipe du Dr Hervé Bouty (Institut Pasteur, Paris) a entrepris un travail impressionnant dans le but de mieux connaître les souches de Lyssavirus à l'origine de la rage qui circulent actuellement dans le monde. Pour cela, ils ont séquencé 62 nouveaux isolats et ont comparé les résultats au génome de 192 souches provenant de 55 pays dans le monde. L'ensemble des souches circulantes analysées sont assez récentes dans l'évolution virale. Si la rage circule sur terre depuis des millénaires, les virus aujourd'hui à l'origine d'infection ont tous un ancêtre commun apparus sur terre, en Inde, il y a 1 500 ans environ. Au total, il existe six clades distincts du virus tous issus de mammifères non volants. Chacun des clades est distribué de façon géographique précise. Les mouvements géographiques des virus au cours des 1 500 dernières années ont été analysés de façon détaillée et il semble qu'ils aient été assez limités dans le temps et calqués sur les mouvements des carnivores.
La manipulation des défenses de l'hôte
L'équipe du Dr Monique Lafont s'est pour sa part intéressée aux manipulations des défenses de l'hôte par le virus. Entre le moment de l'inoculation virale – par une morsure, la salive ou dans des cas très rares un organe transplanté infecté – il se passe environ deux semaines. Il faut ce temps au virus pour passer du derme aux glandes salivaires et au système nerveux central. Une fois arrivé au contact des neurones, le virus produit des lésions de façon assez inhabituelle. En effet, il ne détruit pas les neurones et les lésions ne sont pas non plus dues à une réponse immunitaire exagérée. Il semble que le virus échappe aux différents mécanismes de l'immunité naturelle en particulier aux lymphocytes T dont le taux est majoré après infection et qui migrent dans le système nerveux central. Le travail de l'équipe de Monique Lafont a permis de prouver que, une fois infectés par le virus, les neurones vont surexprimer au moins trois familles de molécules immuno-subversives – Fas-L, HLA-G et B7-H1 – qui, lorsqu'elles rentrent en contact avec les lymphocytes T, induisent la mort de ces cellules. Par ailleurs, cette équipe a aussi constaté sur des IRM animales que l'inflammation n'est pas essentielle à la constitution de lésions puisque dans les formes rapidement létales elle n'existe quasiment pas. À l'inverse, dans les formes paralysantes, il existe une inflammation importante de la région des noyaux gris centraux dans les jours précédant le décès.
Biopsie cutanée
Enfin, Le Dr Laurent Dacheux (Institut Pasteur, Paris) a souligné le manque de données cliniques et physiopathologiques actuellement disponibles. Dans de nombreuses populations africaines et asiatiques, il est encore difficile de pratiquer des autopsies pour des raisons culturelles. C'est pour cette raison qu'il s'est attaché à mettre au point de nouvelles méthodes diagnostiques pour faciliter le repérage des cas intra vitam. Il a mis au point un protocole standardisé de diagnostic biologique chez les vivants. Au total, 51 patients vivant au Cambodge, à Madagascar ou au Sénégal ont été inclus et 400 prélèvements biologiques (salive, sang, urine et biopsie cutanée) ont été analysés. Pour 34 de ces patients, une biopsie cérébrale post mortem a confirmé le diagnostic. Globalement, l'analyse de la biopsie cutanée réalisée dans la région occipitale et contenant des follicules pileux permet de diagnostiquer avec une sensibilité de 98,3 %. Il n'existe aucune variation de cette donnée au cours de l'évolution de la maladie. Pour les prélèvements de salive, la sensibilité a été estimée à 70 %. Lorsque cette analyse est répétée trois fois au cours de l'évolution de la maladie, la sensibilité diagnostique peut passer à 100 %. Grâce à cette nouvelle approche, on peut imaginer diagnostiquer de façon plus précoce les cas dans une période encore accessible au traitement par vaccination.
Congrès du 120e anniversaire de l'Institut Pasteur. La recherche sur les maladies infectieuses : un défi planétaire.
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