Histoire naturelle
L'adénocarcinome rectal est un cancer digestif fréquent, à prédominance masculine, qui se différencie du cancer colique par un double risque évolutif local à type de récidive pelvienne et générale à type de métastases hépatiques et pulmonaires de fréquences voisines.
L'histoire naturelle du cancer du rectum est gouvernée par les conditions anatomiques : il s'agit d'un organe en partie sous-péritonéal en contact avec la graisse périrectale (mésorectum), de fait sans barrière mécanique, posant le problème des récidives locales, et un organe bas situé au contact du canal anal, donc avec une marge étroite avec le sphincter, posant le problème de la conservation sphinctérienne.
Invasion et extension
Le pronostic fonctionnel et vital des patients est lié à l'extension tumorale locorégionale, elle-même déterminée au mieux par écho-endoscopie rectale, voire par IRM pelvienne en cas de sténose tumorale ou de lésion volumineuse. Sont ainsi définies l'invasion pariétale et l'extension ganglionnaire de proximité : jusqu'à la musculeuse (T2), franchissement de la musculeuse avec atteinte séreuse (T3), atteinte des tissus périrectaux et des ganglions (T4).
Traitement pluridisciplinaire
Le traitement du cancer du rectum est à ce jour un traitement pluridisciplinaire avec une stratégie oncologique (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) définie en partie en préopératoire. Le chirurgien décide, pour les patients opérables, de l'intervention de type chirurgie conservatrice avec résection antérieure du rectum - excision totale du mésorectum (TME) et anastomose colo-rectale ou colo-anale (marge rectale distale de 2 cm au minimum), ou de type chirurgie mutilante pour les tumeurs juxta-sphinctériennes, liée au pôle inférieur de la tumeur, par amputation abdomino-périnale avec colostomie iliaque gauche définitive. Cependant, la fréquence des récidives locales postopératoires a imposé au cours du temps le concept d'un traitement adjuvant, initialement par radiothérapie postopératoire, puis par radiothérapie préopératoire mieux tolérée, et plus récemment par radiochimiothérapie première plus efficace. En effet, le franchissement de la paroi digestive représente un tournant dans la maladie : le taux actuariel à cinq ans de récidives locales après chirurgie exclusive à visée curative, a longtemps été de 24 % pour les stades Dukes B (≥ infiltration transpariétale) et 53 % pour les stades Dukes C (≥ envahissement périrectal et ganglionnaire). La radiothérapie péri-opératoire a permis de réduire ces récidives locales de moitié.
Une radiothérapie (RT) pour quel type de patient ?
La RT externe préopératoire du cancer du rectum est un traitement de première intention pour les tumeurs transpariétales T3Nx, efficace et de tolérance acceptable immédiate et à long terme. Pour les tumeurs plus limitées (T2Nx), dont le risque de récidive locorégionale paraît faible en préopératoire, la RT est proposée en postopératoire s'il existe des critères histologiques de mauvais pronostic.
Exceptionnellement, pour les petits cancers (T1), bien différenciés, peu infiltrants, sans adénopathie (No), situés dans le tiers inférieur du rectum : c'est l'indication d'un traitement local conservateur : exérèse chirurgicale transanale ou radiothérapie de contact type 50 KV.
Pour les tumeurs localement avancées (T4 résécables), l'usage actuel est de délivrer une radiochimiothérapie concomitante avec RT pelvienne et chimiothérapie (CT) radiosensibilisante comportant du 5-fluoro-uracile (5-FU) continu. Une exérèse avec ou sans conservation sphinctérienne est réalisée alors, lorsqu'elle est techniquement possible, de quatre à huit semaines après. Enfin, les récidives pelviennes situées le plus souvent dans la concavité sacrée ou au niveau de l'anastomose peuvent bénéficier de radiochimiothérapie concomitante de rattrapage.
Quel type d'irradiation ?
La RT est en général délivrée en France six semaines avant la chirurgie d'exérèse afin de permettre une réduction tumorale importante.
Le volume pelvien de RT concerne le rectum, incluant la tumeur rectale et la concavité sacrée, ± le périnée en cas d'amputation, et les relais ganglionnaires de drainage iliaques internes externes et primitifs. Un complément d'irradiation, lorsqu'il est nécessaire, est limité au volume tumoral.
La dose totale délivrée est de 45-50 Gy/cinq semaines dans le volume pelvien incluant le lit tumoral et la sphère péritumorale, en pré- ou postopératoire (prophylactique sur une maladie microscopique). Dans les cas de RT exclusive (récidive inopérable), un complément jusqu'à 65 Gy au niveau du lit tumoral est envisagé.
Le fractionnement est classique de 1,8-2 Gy/jour, cinq jours sur sept, 9-10 Gy par semaine, délivré avec un accélérateur linéaire de particule de haute énergie (10-25MV), en général par trois ou quatre faisceaux quotidiens en antérieur, postérieur et latéraux en boîte.
La dosimétrie est simple, mais tient compte des coupes tomodensitométriques après repérage des organes critiques et de la masse tumorale (dosimétrie conformationnelle).
Les effets secondaires en cours d'irradiation
Comme toujours, la radiothérapie n'agit que là où elle est réalisée et, ici, le volume concerné est pelvien. La symptomatologie est dominée par des troubles digestifs aigus qui apparaissent dès la deuxième ou troisième semaine d'irradiation, et disparaissent en deux à quatre semaines après la fin de la RT.
La toxicité digestive directe est fréquente, mais souvent acceptable, à type de diarrhées (30 %) en particulier par atteinte directe des anses grêles mobilisées dans le pelvis en peropératoire, et accentuée par une chimiothérapie concomitante. Des antidiarrhéiques sont alors utiles, associant selon la gravité pansement digestif, antisécrétoire, ralentisseur du transit.
Des nausées modérées (30 %) sont sensibles à un traitement préventif par sétrons.
Une toxicité cutanée en zone irradiée au niveau du pli interfessier (± périnée), peut être observée sous forme d'érythème (ou une simple hyperpigmentation), voire de radio-épithélite et sera traitée au mieux par une crème hydratante ± une lotion anti-inflammatoire en cas de lésion sèche, et d'éosine en cas de lésion humide. La toxicité urinaire vésicale est exceptionnelle, essentiellement à type de pollakiurie transitoire.
Quel contrôle tumoral ?
- Les patients avec une tumeur rectale pariétale (Dukes A et B) ont un excellent pronostic après exérèse chirurgicale curative avec une survie à cinq ans supérieure à 80 %, et aucun traitement adjuvant n'est aujourd'hui préconisé.
- Les patients ayant un cancer rectal dépassant la séreuse (stades B2 et C) ont un taux de survie à cinq ans de 40 à 60 % et la radiothérapie pelvienne permet de réduire les récidives locales de moitié.
La radiothérapie préopératoire suivie de chirurgie TME (exérèse totale du mésorectum) est désormais un standard. La RT préopératoire ± CT est moins toxique que la RT postopératoire, en particulier sur l'intestin grêle non mobilisé, améliore le contrôle local et augmente les chances de conservation sphinctérienne. Si le risque de récidive locale est réduit à 11,3 % avec la chirurgie TME, il passe à 5,8 % grâce à l'adjonction d'une radiothérapie préopératoire, sans modifier la survie. Le bénéfice en survie d'une CT concomitante à la RT préopératoire est rapporté dans quelques études, mais n'est pas encore établi, même s'il existe une augmentation significative de la stérilisation histologique des pièces opératoires (10 % versus 3 %).
Les complications tardives après ce type d'irradiation.
Les complications radio-induites différées sont rares (≤ 10 % des patients) et sont dominées par l'entérite radique. Elles surviennent surtout après radiothérapie postopératoire, chez des patients présentant des facteurs de comorbidité (diabète, HTA, obésité...). Les lésions d'entérite radique grades 1-2 se présentent sous forme de diarrhée chronique (plusieurs selles matinales fractionnées) et de météorisme abdominal, souvent déclenchés par des écarts alimentaires (fibres) et régressant sous traitement symptomatique (lopéramide, charbon). Les lésions de grades 3-4 sont exceptionnelles, mais graves, et s'expriment sous forme de syndrome de König (douleurs abdominales par crises, bruits hydroaériques, vomissements) avec occlusion (iléus paralytique) ou perforation du grêle nécessitant parfois une reprise chirurgicale.
On ne peut par définition observer de toxicité rectale, du fait de l'exérèse de ce dernier. Cependant, une toxicité sphinctérienne anale peut s'observer et se manifester par une impériosité à la défécation chez un tiers des patients (voire une incontinence), probablement liée à un processus de vieillissement accéléré du sphincter, mais s'atténue en général au cours du temps. D'exceptionnelles lésions osseuses du bassin (col fémoral, pubis) ont été rapportées, en particulier pour des doses élevées et/ou des volumes de RT importants.
La radiothérapie préopératoire est actuellement un standard du traitement des tumeurs rectales avancées. Cependant, les modalités optimales du traitement adjuvant sont en cours d'évaluation afin de réduire les taux d'échecs locaux et les métastases des formes de mauvais pronostic et les complications sévères des traitements. Sont ainsi en cours d'évaluation, les dose et volume optimaux de RT, le délai RT-chirurgie, les type et durée de la CT concomitante et adjuvante posant la question de la place des 5-FU oraux, du CPT11 (ou du protocole FOLFIRI), de l'oxaliplatine (ou du protocole FOLFOX), et la place toute récente de l'anticorps monoclonal anti-EGFR1 (Erbitux).
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