TRADITIONNELLEMENT, l'inspection débute par une présentation détaillée de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de son rôle en matière de contrôle de la radioprotection du public depuis la loi du 13 juin 2006. Mais, aujourd'hui, Mathias Lelièvre, chef de la division de Paris, ne fait qu'un bref rappel des faits. Comme tous les centres de radiothérapie – ils sont 180 –, celui de l'hôpital intercommunal de Raincy-Montfermeil (93) a été inspecté en 2007. Ces inspections systématiques, consécutives aux événements d'Epinal et de Toulouse notamment, et dont la synthèse doit être présentée d'ici à un mois, avaient pour objectif d'évaluer les services sous l'angle des «facteurs organisationnels et humains», ces défaillances souvent au coeur des événements. Une deuxième salve d'inspections est prévue cette année, dans tous les centres, pour assurer le suivi et l'accompagnement des services vers une «culture de sûreté» dont André-Claude Lacoste, président de l'ASN, reconnaît qu'elle prendra plusieurs années avec «le renforcement des exigences réglementaires et des effectifs ainsi que l'application générale des nouvelles recommandations de bonnes pratiques professionnelles».
Ce matin, à Montfermeil, plusieurs personnels du service de radiothérapie assistent à cette deuxième inspection, menée par Isabelle Lesire, de la division de Paris : la chef de service, la cadre de santé, la radiophysicienne et la directrice qualité de l'hôpital. L'atmosphère est détendue mais studieuse. Les classeurs, dans lesquels sont consignés tous les renseignements concernant le fonctionnement du service, sont empilés sur la table. Isabelle Lesire, qui a effectué la première inspection il y a six mois, est en terrain connu et sait à qui s'adresser principalement : la chef du service, le Dr Pascale Brunel, et la radiophysicienne, Catherine Bouchard, qui a une double fonction. «Son rôle est de s'occuper de tout ce qui concerne les machines et la préparation du traitement des patients, indique Isabelle Lesire. Mais elle a également la casquette de personne compétente en radioprotection. C'est donc l'interlocutrice privilégiée pour le côté pratique, même si la responsable est le DrBrunel.»
Moyens humains et organisation.
L'inspectrice commence : «Quand je suis venue il y a six mois, c'était juste avant le congé maternité de votre collègue physicienne. Comment vous êtes-vous organisés?» Première réalité flagrante, générale à tous les centres : le manque de moyens humains. Dans ce service, qui voit 600 patients en traitement par an, l'équipe est constituée en temps normal d'une vingtaine de personnes, dont trois radiothérapeutes, sept manipulateurs, deux dosimétristes et deux radiophysiciennes. «Je n'ai pas pris beaucoup de vacances, répond Catherine Bouchard. Et puis nous avons passé une convention d'astreinte avec le centre de Lagny en cas de panne de l'accélérateur, ce qui ne s'est pas passé.» La panne aurait pu être réparée mais la fonction n'est pas remplacée. Or, selon un arrêté du 19 novembre 2004, le « plan d'organisation en radiophysique » comporte plusieurs éléments obligatoires, dont une obligation de présence durant toute la durée des traitements, pendant la délivrance de la dose aux patients. Face à ce déficit criant de radiophysiciens, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a d'ailleurs annoncé, en décembre dernier, le doublement des effectifs formés d'ici à cinq ans, «passant ainsi de 300 à 600professionnels».
Autre sujet abordé, la dosimétrie in vivo, une mesure recommandée également par le ministère suite à l'affaire d'Epinal. «La dosimétrie (pour les travailleurs) est déjà prévue pour l'hôpital. C'est imminent», indique la directrice qualité de l'hôpital, Marie-Dominique Naël. «La ministre de la Santé a promis un financement pour l'acquisition de matériels de dosimétrie in vivo(pour les patients) de chaque service de radiothérapie, rappelle le Dr Brunel. Mais, financement ou pas (trois millions d'euros ont été promis, NDLR) , nous avions prévu de la mettre en place cette année.» Isabelle Lesire insiste, elle préfère obtenir une planification plus ferme.
La démarche qualité.
L'investigation se poursuit. Pendant plus de deux heures, elle enchaîne les questions, vérifie la tenue des classeurs, donne des conseils mais aussi des encouragements. La constitution d'un groupe de travail « procédure » et d'une « cellule de retour d'expérience »est un bon point dans la démarche de qualité du service. C'est aussi grâce à ces retours d'expérience que les centres peuvent progresser ensemble dans la qualité, plaide l'ASN, qui exhorte les services à communiquer.
Comment éviter de confondre un fichier informatique d'un patient avec celui d'un homonyme ? «Les photos de chaque patient apparaissent au pupitre de la machine et dans la salle des traitements», répond la radiophysicienne, Catherine Bouchard. Comment repérez-vous les masques de traitement des patients ? Quelles contentions utilisez-vous pour maintenir le patient dans la bonne position ?
«On vérifie déjà que le service tient une veille réglementaire, ce qui est déjà applicable ou pas, explique l'inspectrice. Nous avons plusieurs thématiques de contrôle: l'aspect réglementaire avec le contrôle d'ambiance des locaux et des appareils. Il y a ensuite toute une partie sur le fonctionnement global du service.» Pour Isabelle Lesire, l'inspection se passe facilement : «Ils ont mis en place beaucoup de choses sur le plan de l'assurance qualité et ils ont très bien formalisé le cheminement du patient. On sent que cette démarche est collective et qu'elle vient du service lui-même. Notre rôle consiste à les accompagner dans cette démarche.» Catherine Bouchard, de son côté, confirme : «Avec MmeLesire, on travaille ensemble dans la même direction. Mais certains de mes collègues n'auront pas le même sentiment que moi. Il n'y a pas le même discours partout.» Il faut dire également que les services ne se ressemblent pas. Auditionné par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en novembre dernier, le président André-Claude Lacoste reconnaissait que, en matière de maîtrise des risques, «le vrai sujet, pour l'ASN, est l'étendue du spectre qui peut séparer, d'un côté, les centres de pointe parfaitement organisés et où les équipes en place sont conscientes de la dangerosité des appareils, et, de l'autre, d'autres centres où la culture de sûreté n'existe pas encore». Cela ne veut pas dire que la démarche d'assurance qualité n'existait pas avant les accidents d'Epinal et de Toulouse : la formation initiale des professionnels, notamment celle des radiophysiciens, qui vient d'être prolongée (master de physique au minimum plus deux ans de formation dans un centre spécialisé), inclut l'apprentissage de la radioprotection. «Ces inspections sont positives, note Catherine Bouchard. Il est vrai que j'ai la chance de travailler dans un centre public où je me sens soutenue par la direction qualité de l'hôpital. Quand je demande l'arrêt d'une machine pour faire un contrôle qualité, personne ne s'y oppose. Dans nombre d'autres pays européens, on traite au moins moitié moins de patients par machine que ce qui est fait en France.»
Toutefois, face à la médiatisation des affaires d'Epinal et de Toulouse, la radiophysicienne reste mesurée. «Les rayons font peur. Mais il ne faut pas oublier que ce traitement implique, dans la plupart des cas, des effets secondaires. Il n'y a pas plus d'erreurs en radiothérapie que dans d'autres secteurs de la médecine, même si cela reste bien sûr inacceptable.»
Dans le service de radiothérapie de l'hôpital de Montfermeil, l'inquiétude des patients n'a pas été ignorée. Suite à Epinal, une lettre leur a été distribuée afin de leur expliquer quels contrôles de qualité étaient réalisés dans le service et quelles techniques étaient utilisées. Car, in fine, la qualité, c'est bien au patient de la ressentir.
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