DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
«NOUS DEVONS catégoriquement rejeter toute tentative qui viserait à normaliser ou à traiter l'épidémie du VIH/sida comme n'importe quelle autre maladie.Aujourd'hui, plus que jamais, la réponse se doit d'être exceptionnelle», déclarait Peter Piot, directeur exécutif de l'ONUSIDA, dans son discours d'ouverture, avant de conclure par l'évocation d'une figure emblématique de la Caraïbe, Bob Marley : «Get up, stand up, stand up for your right/Get up, stand up, don't give up the fight.» Le ton était donné. Plus encore que les précédentes, la 17e Conférence internationale sur le sida, pour la première fois organisée dans un pays d'Amérique latine, a largement donné la parole aux membres de la société civile, militants de la lutte contre le sida, associations de patients, travailleurs du sexe, présents aux côtés des scientifiques et représentants des institutions internationales lors des sessions plénières. Un mélange des genres parfois haut en couleur, mais que semblent peu apprécier certains médecins et scientifiques, prompts à bouder la grand-messe bisannuelle du sida.
Le spectre du divorce.
Richard Horton, directeur de la rédaction de « The Lancet », le soulignait lors d'une session consacrée au futur de la lutte contre l'épidémie : «Nous assistons à un divorce. Les scientifiques sont de moins en moins nombreux.» Et «comment de nouveau les attirer?».
Dans le contexte particulier de la conférence, marquée, deux ans après Toronto, par le recul de la recherche vaccinale contre le VIH, annoncé par l'arrêt en septembre 2007 de l'essai STEP (Laboratoire Merck), la question prenait tout son sens. «Le meilleur moyen de stopper le virus est sans contestation possible le vaccin», a prévenu le Dr Alan Bernstein, directeur exécutif de l'Initiative internationale pour un vaccin contre le VIH (IAVI).
Vingt-cinq ans après la découverte du virus et la première conférence internationale sur le sujet, vingt ans après la création de l'IAS (International AIDS Society), le combat contre le VIH/sida semble être à une étape charnière.
Le retour à une recherche fondamentale semble indispensable, notamment pour mieux comprendre les mécanismes immunitaires qui aboutissent à une protection efficace comme chez les patients contrôleurs. Cependant, ont expliqué les chercheurs, il faut «de nouveaux cerveaux pour de nouvelles idées». Aussi «devons-nous encourager les investigateurs des pays les plus touchés par l'épidémie afin qu'ils nous apportent leur énergie face à l'urgence du problème et de nouvelles perspectives. Nous devons aussi aider les chercheurs d'autres disciplines à mettre leurs technologies au service de la recherche vaccinale», a insisté le Pr Bernstein, avant de lancer un appel aux plus jeunes. «Près de 90% des personnes qui ont reçu le prix Nobel en physiologie et en médecine, et pas seulement en sciences physiques ou en mathématiques, l'ont reçu pour des travaux accomplis alors qu'ils avaient entre 35 et 45ans», a- t-il souligné, regrettant que l'âge moyen des chercheurs, aux États-Unis et en Europe, se situe aujourd'hui plutôt autour de 40 ans.
Recherche opérationnelle.
Le besoin de renouvellement ne touche pas uniquement les hommes, scientifiques ou institutionnels – Peter Piot devrait quitter l'ONUSIDA qu'il dirige depuis sa création en 1995 –, il concerne l'approche elle-même, avec, par exemple, la montée en puissance d'une recherche opérationnelle qui privilégie les solutions pragmatiques. «Nous avons besoin d'une meilleure intégration des sciences humaines et sociales à la recherche clinique», a reconnu le directeur de l'ANRS (Agence française de recherche). Invité à s'exprimer en séance plénière, Bruno Spire, président de AIDES (France), virologue devenu sociologue et militant, a assuré que les stratégies préventives fondées sur le «tout ou rien» ne peuvent être efficaces. Plutôt que de relâchement de la prévention (relapse), il préfère parler de la «fatigue» qui a conduit notamment, en France, à une augmentation du pourcentage de rapports non protégés parmi les homosexuels, passé de 20 % au cours des années 1990 à 33 % en 2007, alors que leur taux d'utilisation du préservatif est nettement supérieur à celui de la population générale. «Le risque fait partie de la vie» et les stratégies de réduction du risque, encore peu explorées, semblent plus adaptées à une maladie devenue chronique. En attendant l'arrivée de microbicides et d'un vaccin efficaces, différentes stratégies peuvent être combinées, telle que l'éducation, l'utilisation du préservatif, féminin ou masculin, mais aussi la circoncision, qui a donné lieu à de multiples discussions. «To cut or not to cut?» En dépit de résultats scientifiques probants, son utilisation à large échelle se heurte à de nombreuses réticences, notamment d'associations pour le droit des femmes. Là encore, le travail et l'ajustement au niveau des communautés apparaissent indispensables. Enfin, l'effet préventif des traitements a sans doute représenté l'un des points forts de la conférence. Il est encore controversé pour ce qui concerne les recommandations suisses fondées sur la réduction de la charge virale sanguine sous ARV. Quid de la charge virale dans les sécrétions génitales ? Le Dr Myron Cohen, de l'université de Californie, estime que seule la recherche clinique aidera à lever les incertitudes. Une étude est en cours, dont le recrutement devrait s'achever en décembre prochain, qui vise à suivre 1 750 couples dans neuf pays. «Cependant, aucun résultat ne sera disponible avant 2016», a-t-il indiqué.
Affluence
25000 personnes ont participé à la conférence de Mexico, dont la moitié suivait pour la première fois un tel colloque. Parmi les participants, 5 000 Mexicains.
La prochaine conférence aura lieu à Vienne en 2010.
Remise du rapport Yéni demain
Le rapport du groupe d'experts sur la prise en charge médicale de l'infection à VIH, dirigé par le Pr Patrick Yéni, sera remis jeudi au ministre de la Santé. «Aujourd'hui, plus de 80% des patients pris en charge reçoivent une trithérapie et au moins les trois quarts d'entre eux ont une charge virale indétectable dans le plasma. La conséquence en est la diminution constante du nombre de nouveaux cas de sida», soulignent les experts. Malheureusement, «les progrès sont moins marquants en ce qui concerne la reconstitution immunitaire, seulement partielle lorsque le traitement est commencé tardivement», ce qui est le cas pour un tiers des patients.
Les experts recommandent donc de commencer le traitement plus précocement, dès que le taux de CD4 atteint 350/mm3 chez les patients asymptomatiques, au lieu d'attendre le seuil de 200 CD4/mm3. «Parvenir à un dépistage large des sujets en phase précoce de l'infection est donc un objectif essentiel pour pouvoir traiter tôt», soulignent-ils. Ils recommandent aux pouvoirs publics de définir de nouvelles stratégies de dépistage différenciées en fonctions des zones de prévalence et en direction des populations les plus exposées. Les tests rapides pourraient permettre d'intégrer le dépistage dans des actions de proximité.
Le rapport est en ligne sur le site du ministère :
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