DE NOTRE CORRESPONDANTE
A MARSEILLE, l’association Arpsydémio, basée dans les quartiers nord et qui entend déstigmatiser les maladies mentales et réfléchir au système de soins offert, a organisé différentes manifestations à l’occasion de la Semaine d’information en santé mentale, dont un colloque sur le malaise dans l’hospitalisation. En amont, des soirées thématiques étaient proposées pour lutter contre les idées reçues. C’est ainsi que le Dr Vincent Girard a été invité à présenter son travail auprès des SDF. Bénévole à Médecins du Monde et dans diverses associations, il arpente le bitume marseillais plusieurs fois par semaine. Suivant la philosophie qui le meut, «pour aller vers», privilégiant le travail de proximité.
La psychanalyse, il baigne dedans depuis qu’il est petit, avec une mère psychanalyste, mais il s’en échappe au sens strict du terme pour aller au-devant des gens dans la rue. «La psychanalyse ne soigne pas la psychose et rien n’interdit d’aller organiser le soin dans la rue après des gens eux-mêmes dans une perspective de proximité.» Après ses études, le Dr Girard choisit d’aller mener ses travaux aux Etats-Unis à la recherche d’un lien et d’une écoute des sans-abri.
« Plus on est pauvre, plus on est malade. »
«J’ai travaillé en 2003 à Yale, pour ma recherche d’une approche clinique du travail de rue en santé mentale. Cela m’a beaucoup plu. En rentrant à Marseille, je me suis lancé dans ce travail, après une rencontre déterminante avec certains médecins. J’ai découvert que, malgré la production sans cesse croissante de richesses, plus on est pauvre, plus on est malade. Combien de gens dans la rue ont-ils accès aux soins? Le mythe veut que, quand on est dans la rue, on est soit délinquants, soit drogués, bref que c’est de leur faute. Mais ils peuvent aussi être soignés.»
La psychiatrie peut donc être exercée dans la rue. C’est fort de ce postulat que Vincent Girard se lance dans cette activité les deux tiers de son temps tout en ayant une réflexion politique autour du fait urbain, de la concentration des individus, de l’individualisme forcené qui règne dans notre société. «Il y a 5000personnes itinérantes à Marseille, entre 400 et 500 qui n’utilisent pas les lieux d’accueil. De 10 à 15% de ces personnes en grande précarité ont des troubles mentaux, schizophréniques ou autres, 50% souffrent d’addictions, 50% de troubles dépressifs. Et beaucoup ont des problèmes physiques qui s’ajoutent.» Le Dr Girard a choisi de travailler sur le lien de confiance, sur l’estime de soi et dans une mission de soutien de l’autre. Trois ou quatre fois par semaine, il marche ainsi dans la rue, offre une cigarette, des chaussettes parfois, parle et propose une hospitalisation aux personnes gravement atteintes sur le plan psychiatrique. Celles qui délirent ou souffrent de graves troubles du comportement. «Je m’occupe de gens qui sont en fait très vulnérables, qui se font exploiter, frapper, violer parfois, qui n’ont plus de repères.»
Vincent Girard s’est occupé cette année de l’hospitalisation de dix personnes. Par exemple, Marguerite, violée régulièrement par les hommes du quartier où elle a trouvé refuge après la mort de son mari. Aucune structure n’a voulu l’accueillir depuis son arrivée dans la rue. Ses troubles cognitifs et son alcoolisme font peur, mais, depuis qu’elle est à l’hôpital, elle a recouvré le sourire et une certaine dignité.
Monsieur M., lui, vit à la Plaine, un quartier du centre-ville de Marseille. Le Dr Girard le suit depuis un an et demi. «On ne sait plus évaluer son âge. Il était plein de poux. C’était extrêmement difficile de s’approcher de lui tant il puait. Il ne parlait pas. Au bout de sixmois, il a accepté de prendre une douche dans le service Naudin à la Timone.» Un jour, après que ce lien de confiance eut été établi, il a pu accepter une hospitalisation.
François n’a pas eu cette chance. Malgré une dépression grave, alors qu’il est suivi pour schizophrénie dans un autre pays de l’Union européenne, la psychiatre des urgences lui propose une consultation par semaine.
Une carence majeure en logements.
Il retournera dans son parking toujours en souffrance. «Ces histoires révèlent l’absence de places dans les services de psychiatrie et il y a peu d’équipes de proximité qui prennent en charge les personnes, à leur domicile par exemple. Elles montrent aussi la carence majeure en logements alternatifs pour les personnes en phase de rétablissement. Selon les chiffres de la Ddass, de 20 à 30% de personnes restent plus de huitmois à l’hôpital parce qu’il n’y a pas de relais. Il serait juste de réorganiser le système de soins et de travailler le problème du logement en fonction des besoins des personnes. Toujours aux confins du social et du sanitaire, il existe un problème récurrent de lignes budgétaires.» Vincent Girard a lancé un projet autour de la création d’une équipe de professionnels de rue, avec un financement Drass, Sros et ARH* pour la fin 2006. Il devrait devenir prochainement l’assistant du Pr Naudin à la Timone. Mais, en attendant, il est parti en mission au Congo, pour un suivi psychiatrique en brousse.
* Direction régionale des affaires sanitaires et sociales, Schéma régional d’organisation sanitaire, Agence régionale de l’hospitalisation.
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