L A psychiatrie, discipline très ancienne, a été autrefois majoritairement incarnée par les hôpitaux psychiatriques, quelques cliniques privées et quelques praticiens en ville. Un corps de médecins spécialisés y exerçait. Ce dispositif sanitaire était largement distinct du dispositif sanitaire hospitalier et ambulatoire : médecine, chirurgie, obstétrique. Cette situation d'exception est progressivement devenue une situation de marginalisation. La psychiatrie est restée le parent pauvre de la médecine, à la fois dans son évolution et dans l'attention portée à l'évolution du dispositif.
La formation des médecins psychiatres passait néanmoins par les facultés qui enseignaient la neurologie et la psychiatrie de manière conjointe. Dans cet enseignement, la première bénéficiait d'une place plus large, car elle apparaissait comme plus clinique et comme plus scientifique, et plus porteuse de développement. Ce mode d'enseignement a abouti à la formation d'une excellente école neurologique française et d'une école de psychiatrie qui, bien que compétente, ne jouissait pas de la même aura.
Les étapes du changement
Dans le même temps, le nombre de patients présentant des troubles psychopathologiques ne cessait de croître ; le dispositif hospitalier psychiatrique a fini par prendre en charge les pathologies mentales les plus graves, de type psychose, alors que les pathologies névrotiques, dépressives et anxieuses étaient majoritairement prises en charge par le dispositif psychiatrique ambulatoire et par un certain nombre de neurologues. La place prise par la psychanalyse a conduit à une prise en charge spécifique des pathologies névrotiques. Ainsi s'est constitué un panorama très contrasté.
En 1968, différents courants de pensée s'accordaient pour séparer la psychiatrie de la neurologie et mettaient l'accent sur l'originalité du trouble psychique. Depuis, les progrès de la neurobiologie, de l'éthologie et l'avènement d'une chimiothérapie de plus en plus efficace ont confronté les disciplines psychiatriques à la médicalisation, la propulsant dans le champ de la médecine. Lors de la réforme de l'internat, le paysage était encore différent, la psychiatrie, reconnue comme une discipline médicale « pure et dure », n'en était pas moins mise à part. La psychanalyse prépondérante à l'époque voyait sa place s'effriter, le développement des connaissances sur les comportements faisait augurer des modifications dans les concepts fondamentaux de la psychiatrie, l'approche descriptive devenait prépondérante, l'importance des travaux sur les processus cognitifs contribuait à changer largement les approches des troubles mentaux. En même temps, la psychiatrie développait de manière exemplaire une approche sociale des troubles mentaux. Progressivement, le champ de la psychiatrie s'est largement étendu, allant des confins de la neurobiologie aux sciences de l'inconscient, du comportement, de la cognition et des sciences sociales.
La grande diversité des objectifs et des missions de la psychiatrie a finalement été nuisible à sa lisibilité, mais les succès obtenus par les psychiatres ont été considérables et ont contribué à l'épanouissement, à l'efficacité, à la notoriété de la discipline. Aujourd'hui, d'autres remaniements se préparent : les hôpitaux psychiatriques, en raison de la fermeture des lits et du développement « des alternatives à l'hospitalisation » offrant une large place à la prise en charge ambulatoire, ont contribué à changer l'exercice de la psychiatrie.
Un manque de transparence
L'avènement de la psychiatrie infanto-juvénile et de la psychiatrie de l'adolescent ont représenté des ouvertures formidables. Les états dépressifs dont on connaît mieux les bases neurobiologiques, et dont le traitement a bénéficié de médicaments d'usage facile, sont maintenant pris en charge en majorité par les médecins généralistes devenus des acteurs privilégiés de la discipline psychiatrique. L'ouverture de la psychiatrie aux conduites addictives a conduit aussi à l'élargissement du champ.
Depuis lors, la psychiatrie « fonctionne » infiniment mieux. Reste à résoudre trois problèmes : l'immense insuffisance de la démographie médicale en ce qui concerne la psychiatrie, malgré l'intégration d'un nombre de plus en plus important d'éducateurs, de psychologues, d'orthophonistes, de psychomotriciens, de travailleurs sociaux, ce qui a aussi profondément modifié le fonctionnement des équipes.
Compte tenu des besoins et des attentes de la population en santé mentale, les psychiatres sont de plus en plus intégrés à la prise en charge et à la gestion des difficultés sociales, des difficultés de l'existence, des deuils, des apprentissages scolaires, des conduites addictives. Enfin, le domaine de la psychologie médicale qui concerne les réactions du malade face à sa maladie devient aussi une des préoccupations de l'ensemble des soignants qui ont recours aux psychiatres de plus en plus souvent. Les limites de l'exercice de la psychiatrie nous apparaissent pour le moment comme bouleversées et de plus en plus vastes, ce qui oblige à redéfinir les objectifs et les missions de la psychiatrie, notamment en ce qui concerne la santé mentale.
Le grand changement auquel nous avons assisté dans le champ de la psychiatrie a eu un impact sur l'évolution générale de la médecine en repérant le patient comme une personne ayant une définition biologique, psychologique et sociale. A cet égard, en gardant son originalité, la psychiatrie intégrée dans la vie quotidienne s'intéresse à tous les aspects de la personnalité et des troubles mentaux, mais aussi au développement de la personnalité dans le cadre d'une référence à la santé, conçue comme la capacité à développer l'ensemble de ses potentialités biologiques, psychologiques et sociales.
D'après un entretien avec le Pr Philippe-Jean Parquet (Lille).
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