La santé en librairie
« J'ai passé une grande partie de ma vie accompagnée par la psychanalyse, plongée dans la psychanalyse, voire parfois pieds et poings liés par la psychanalyse. Je suis tombée dedans quand j'étais petite, comme on dit ou presque », annonce sans ambages Rauda Jamis, dès la première page du récit de son expérience avec ces spécialistes de l'âme.
Le récit de cet écrivain aujourd'hui psychothérapeute (non psychanalyste on l'aura compris) n'est pas une suite de récriminations ni un étalage d'amertume, mais une confidence à la fois authentique et éclairée, drôle sans être sarcastique, critique sans être déloyale, et une réflexion émouvante sur ce qu'un psychothérapeute peut faire, ou doit faire, pour son patient.
Jean Paulhac, également psychothérapeute, est, lui aussi, tombé dans la marmite de la psychanalyse quand il avait le sens critique encore peu développé et y a laissé quelques plumes. Son ouvrage relève sans réticence du pamphlet.
Au monde de la psychanalyse, où la parole est reine, Jean Paulhac a choisi de se venger d'un bon mot par un autre bon mot, souvent bien trouvé. Rauda Jamis critique la pratique et la façon de faire de (certains) psychanalystes sans oublier, certes, d'évoquer les liens indissociables entre théorie et pratique. Jean Paulhac, lui, conteste le fondement même de la théorie, du lapsus au complexe d'dipe en passant par l'interprétation des rêves, et nourrit son propos du caractère scandaleusement sacré de la psychanalyse qui s'apparente à la religion : « Elle appelle et souffre l'exégèse mais interdit toute contradiction », dit-il.
Tous deux ont pu mesurer l'impact thérapeutique incertain de cette pratique, qui, comme le dit Paulhac, « fait resurgir les cadavres des traumatismes de leur tombe infantile » et se dérobe à toute évaluation au nom du sacro-saint caractère ineffable et unique de la communication entre le thérapeute et son client.
Comment ne pas céder au charme d'un livre comme « le Rêve et son interprétation » quand on est un adolescent curieux et soucieux de trouver du sens à la vie : « Pas facile à comprendre, pas trop difficile non plus, me semble-t-il (...), je slalome. Je flotte. Je suis enchantée (...) je ne doute pas une seconde que ce livre est une clé, de ces clés auxquelles on tient, car elles ouvrent certaines portes tout en étant un talisman protecteur », raconte Rauda Jamis.
« J'ai relu récemment "l'Introduction à la psychanalyse" après trente ans qui me séparent de ma première lecture d'étudiant. J'ai été pour la deuxième fois séduit par la clarté du texte. Un adolescent de 15 ans peut aisément le comprendre », dit Jean Paulhac (« Freud, Divan le terrible »). Celui qui a d'abord cru à la psychanalyse comme on croit en Dieu avant d'en mesurer les limites ajoute : « Il y a trente ans, j'étais convaincu avant d'analyser et de réfléchir. J'étais disciple avant même d'ouvrir l'il. »
De manière similaire, ces deux psychothérapeutes, aujourd'hui repentis, ont été séduits par la qualité de la littérature freudienne mais aussi, quête adolescente aidant, par l'aspect de vérité révélée. C'est ainsi qu'ils ont aussi appris à leurs dépens le caractère figé de toute vérité révélée et le dogmatisme de cette théorie séduisante a priori. « Je suis entré en psychanalyse comme on entre en religion (...), je lisais en me bouchant les oreilles pour ne pas entendre les murmures de Satan, ce contradicteur latent », avoue Jean Paulhac.
« Moi je suis née avec le bénéfice du doute vissé sous la peau, du pain béni pour la psychanalyse ! (...) J'avais été une enfant remplie, parfois même criblée de pourquoi intérieurs », raconte Rauda Jamis.
Aller mieux est une autre histoire
Besoin de voir clair, de comprendre, de se connaître pour mieux approcher les autres et conquérir sa propre liberté mais aussi de soulager une réelle souffrance psychique sont autant de motivations pour frapper à la porte d'un psychanalyste. Mais la psychanalyse n'a pas réponse à tout et sûrement pas aux questions qui relèvent plus de la philosophie que de la psychologie, comme le comprendra plus tard Rauda Jamis. Parfois même, elle peut entretenir et exacerber un malaise latent et faire perdre beaucoup de temps : « Les trois rencontres hebdomadaires avec Drop Psy, même rituels, mêmes gestes, même tarif (en liquide avec la somme exacte de préférence), mêmes mots à peine audibles, "mmm" "oui" "bien" (pour mettre fin à la séance) », constituaient un « abonnement souscrit pour le vague à l'âme, renouvelable par tacite reconduction ». La tacite reconduction durera plus de deux ans !
La position de gisante (sur le divan) paraît, symboliquement, lui signifier qu'elle n'a aucune chance de se relever de son enfance désormais considérée comme un grand désastre. Car, après le sens caché, seule la charge négative des événements se révèle importante (les fameux traumatismes infantiles...).
Rauda Jamis montre remarquablement bien comment la soumission aveugle à l'orthodoxie psychanalytique ( « Dame Psychanalyse, cette Mère supérieure », dit-elle) peut faire perdre les repères de la vie courante, comment la déstabilisation permanente, l'entretien régulier du malaise avec soi-même, la culpabilisation presque recherchée puisqu'il s'agit d'obtenir rédemption pour des crimes non commis, le mépris souverain pour tout ce qui relève du « bon sens » peut empêcher de vivre et d'agir entre deux séances. « J'entrais dans une sphère où je n'osais jamais contester ce qu'elle énonçait (la psychanalyste), les choses d'elle qui pouvaient me contrarier (...) je ne m'en sentais pas le droit. Elle était en position - je la lui assignais du moins - de maître, moi de disciple ». Même la fameuse neutralité, censée justifier que le patient soit livré à lui-même, est factice, dit avec véhémence Jean Paulhac, écrivain de romans policiers à ses heures : « La psychanalyse est kafkaïenne. L'accusé ne sait pas de quoi on l'accuse, le juge non plus avant d'avoir reçu des instructions. Alors le magistrat accuse le prévenu de dissimuler, ou d'ignorer son crime. Le psychanalyste est comme le juge : il sait, il va confondre l'accusé, lui faire avouer ce qu'il n'a pas commis ».
L'itinéraire de patiente racontée par Rauda Jamis ne s'arrête pourtant pas à cette première expérience du divan. Elle le raconte au travers de portraits souvent très drôles de ces différents thérapeutes affligés de sobriquets divers : il y a l'incompétente et dangereuse Drop Psy, l'ange Joy Psy de chez qui on sort avec « une énergie vitale transmise, un authentique contact », l'ambiguë Verat Psy, Sinu Psy au look psychanalyste Rive gauche, Psy Psy, « qui ne fut pas révélateur mais réconciliateur », sans compter une psy distante à l'allure de vamp et à la voix de Macha Beranger ou Starr Psy qui étale ses publications dans sa salle d'attente, et d'autres spécimens non moins étranges mais bien campés. Tao Tang, enfin, celui qui sonne juste, le moins dogmatique et le moins théâtral de tous, qui sait compâtir, mais pas trop, pour qui le temps entre deux séances est plus important que le temps au cabinet, celui avec qui un vrai cheminement vers la vie est possible. Humanité, humilité, transparence, ouverture d'esprit et capacité de remise en question, alliées à une compétence technique apparaissent, au terme de ce parcours, comme les caractéristiques indispensables d'un bon psy. « Les psychanalystes ont un défaut majeur : ils manquent d'humilité. Ils commettent, sans le vouloir peut-être, mais de façon répétée, le péché d'orgueil (qui dans presque toutes les cultures et religions, est à éviter) », conclut Rauda Jamis.
« Ce qui me gêne avec les psys », Rauda Jamis, Jean-Claude Lattès, 267 pages, 19 euros.
« Freud, Divan le terrible », Jean Paulhac, essai, Rencontres université,
202 pages, 18,50 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature