DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
L’HISTOIRE du demi-siècle écoulé en orthopédie nous a habitués à des « success stories » en matière de prothèses, que ce soit au niveau de la hanche ou du genou. Pour ce qui est du disque intervertébral, la mise au point définitive de prothèses aussi fiables et performantes risque d’être plus laborieuse.
Le disque intervertébral est l’élément central d’une structure anatomique très élaborée. C’est le composant principal du « segment de mobilité », qui inclut, sous forme d’un trépied circulaire, l’espace intracorporéal et les facettes interapophysaires articulaires.
Ce « segment de mobilité » est stabilisé par des ligaments et des muscles. Ces muscles sont spécifiques par leur caractère multiarticulaire et redondant, ce qui permet d’orchestrer leur activation de façon très adaptée. Ce « segment de mobilité » doit être à la fois flexible (dans des limites d’amplitude précises), solide (dans des limites de contraintes données) et stable, c’est-à-dire conservant les rapports anatomiques entre les éléments individuels, sans échappement incontrôlé (dérobement dans les autres articulations).
Grâce une architecture élaborée, le disque naturel, avec son annulus périphérique et son nucleus central, répond parfaitement à ce cahier des charges. Mais il est plus délicat de reproduire artificiellement les caractéristiques mécaniques. Le défi posé est d’autant plus compliqué que, selon le niveau vertébral considéré, la biomécanique qui prévaut diffère : au niveau cervical, importante mobilité, mais charge relativement limitée ; au niveau lombaire, mobilité moindre, mais charge plus importante.
Au niveau du rachis cervical.
La chirurgie rachidienne cervicale des dernières années a codifié les indications et les méthodes de dissectomie décompressive antérieure et les techniques d’arthrodèse. La perte d’un segment de mobilité (ou davantage) représentait un compromis acceptable face au soulagement symptomatique obtenu. Le risque potentiel de réintervention tenait plus à un incident de non-fusion qu’à la non-réalisation des objectifs initiaux de l’intervention. Malgré cette situation clinique plutôt satisfaisante, on a assisté au début des années 1990 aux premières tentatives d’implantation de disques rachidiens cervicaux, en quelque sorte « dans la foulée » des remplacements discaux lombaires.
Ces premières implantations furent réalisées dans des situations où la présence de niveaux étagés déjà arthrodésés pouvaient conduire à l’échec d’une nouvelle intervention de fusion sur un niveau supplémentaire. Après ces premières tentatives, les travaux de recherche ont abouti à la mise au point des disques artificiels de deuxième et de troisième génération.
En dépit de ces progrès significatifs, les indications des implantations de prothèses discales cervicales sont restées très restreintes. Contrairement à ce qui se passe au niveau lombaire, cette limitation est aceptée par les équipes spécialisées : les candidats à ce type d’intervention discale doivent présenter des lésions génératrices de radiculopathie ou de myélopathie de façon prolongée et persistante ; il doit exister une parfaite corrélation entre la clinique et l’imagerie ; il doit y avoir un espace discal approprié, c’est-à-dire encore partiellement mobile et non générateur d’instabilité (instabilité segmentaire, spondylolyse, arthropathie facettaire). En fin de compte, il n’y a qu’un très petit sous-groupe de candidats quand on tient compte de ces critères d’exclusion – environ 10 % des patients à qui l’on aurait autrefois proposé une décompression-arthrodèse.
En fin de compte, l’analyse des résultats des implantations de prothèses discales cervicales impose la collaboration d’équipes spécialisées multicentriques ; de surcroît, seul un recul de plusieurs années permettra de faire le tri des meilleures options prothétiques, tant du point de vue des matériaux utilisés que des géométries prothétiques préconisées.
Une intervention « plus mûre » au niveau lombaire.
L’arthroplastie discale au niveau rachidien lombaire bénéficie d’une expérience déjà plus grande par rapport à celle dont on dispose au niveau du rachis cervical. Elle s’adresse presque exclusivement à la pathologie dégénérative lombaire. Les études rétrospectives n’ont pas toutes la rigueur souhaitable qu’elles exigent. Les prothèses disponibles ont en commun de mettre en regard deux surfaces articulaires de nature variable, soit métal-métal, soit métal-polyéthylène. Le contrôle du mouvement et le degré de stabilité obtenu varient d’un modèle à l’autre. L’alternative que ces interventions représentent par rapport aux techniques d’arthrodèse disponibles doit être mise en perspective : les arthrodèses antérieures permettent d’obtenir entre 60 et 90 % de résultats satisfaisants ; les arthrodèses postérieures, entre 80 et 90 % ; les prothèses, entre 66 et 90 %.
Si, dans l’ensemble, ces résultats sont acceptables, on ne dispose pas d’études comparatives vraies ; à six mois, les deux types d’intervention semblent donner des résultats comparables ; un suivi beaucoup plus long sera nécessaire pour les départager.
Certains avantages pour les prothèses ont été recensés : moindres pertes sanguines, moindre durée de séjour hospitalier. Des questions restent pour l’instant sans réponse : l’avantage supposé de conservation de mobilité est-il bien réel au fil du temps ? L’avantage en termes de prévention de lésions au niveau adjacent est-il confirmé ou non ? Le taux de réintervention est-il significativement amoindri ?
Les prothèses discales lombaires ont donné des résultats initiaux prometteurs, mais pas forcément supérieurs, à terme, à ceux des arthrodèses, et ils ne préviennent pas nécessairement les complications à long terme.
Au total, les arthroplasties discales rachidiennes continuent d’évoluer et stimulent les progrès de la chirurgie rachidienne dégénérative. Elles ne représentent pas encore la solution universelle que représentent les prothèses articulaires sur les grosses articulations du squelette périphérique. Cette solution thérapeutique sur le squelette axial finira sans doute par occuper une place utile dans l’arsenal de traitement des atteintes rachidiennes.
San Diego. 74e Congrès de l’Aaos. Avec les Drs S.D. Boden, D.M. Elliot, I.A.F. Stokes, J.D. Kang, J.G. Heller, J.C. Wang.
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