Établir un lien entre rémunération des médecins et « performance » ne va pas de soi. Dans leur rapport sur le sujet (juin 2008), les inspecteurs de l'IGAS, Pierre Louis Bras et Gilles Duhamel, ont jugé que les conditions «sont loin d'être réunies en France» pour introduire le paiement à la performance.
Quoi qu'il en soit, les contrats individuels ne soulèvent pas l'enthousiasme des représentants de la profession. Mais l'hostilité quasi unanime du départ a laissé place à des postures plus mesurées depuis que la caisse semble privilégier une «démarche conventionnelle» (une option négociée collectivement à adhésion individuelle).
Nombre de questions demeurent. S'agit-il d'une usine à gaz ou d'une opportunité à saisir ? Ne faut-il pas recentrer le contrat sur la prévention et la santé publique (et gommer le volet de la maîtrise) ? Surtout, les médecins seront-ils intéressés par un système qui demandera un peu de temps (travail de synthèse, suivi, organisation de la pratique, du cabinet, paperasse) et, sauf miracle, sera source de litiges avec les caisses ?
La CSMF redoute depuis le début le «conflit d'intérêt» entre patients et médecins dès lors qu'on fera le lien entre rémunération individuelle et économies de prescriptions.
La question de la rémunération et des modalités de suivi sera cruciale. «Un tel bazar n'intéressera pas grand monde… pour 5000euros, tranche le Dr Michel Combier, chef de file des généralistes de la CSMF. D'autant que, pour le médecin, le suivi des indicateurs sera impossible car nous n'avons pas les outils.» Du côté de la FMF, la méfiance est de mise . «Ça sent le piège à plein nez, la première étape vers l'obligation et le conventionnement individuel», met en garde le Dr Jean-Paul Hamon (FMF-G) . L'atteinte de certains objectifs de suivi du diabète (50 % de patients dont l'hémoglobine glyquée est inférieure à 7 %) est contestée. «Ce n'est plus une obligation de moyens mais de résultats, on rémunère mieux le médecin si ses patients suivent leur régime!», s'étrangle le Dr Yves Rigal (FMF).
Vers un deal global.
Le SML se montre plus ouvert. Le syndicat défend depuis longtemps des contrats de « maîtrise plus » permettant de récompenser les médecins qui s'impliquent davantage. «Le contrat qui nous est proposé n'est pas mal ficelé, les thèmes sont intéressants, c'est jouable», analyse le Dr Jean-Louis Caron, secrétaire général. «Mais, précise-t-il, cela fera partie d'un deal conventionnel global.» Quant à MG-France, il précise que ces contrats ne sont nullement à la hauteur du «plan Marshall» que le syndicat réclame pour la médecine générale. Mais le Dr Claude Leicher, vice-président, explique que des contrats «centrés sur l'amélioration de la qualité des soins intéressent forcément MG-France». À condition, précise-t-il, que le médecin soit en capacité d'opposer «ses propres données» à celles de la caisse. «Le challenge pourrait alors être relevé», résume-t-il .
Reste l'essentiel : les bonus individuels au mérite ne risquent-ils pas de remplacer, à terme, la hausse collective du C ?La question taraude les syndicats. Un changement de logique radical qui explique aussi leurs réserves. La négociation continue.
La crainte de l'industrie pharmaceutique
Certains items des contrats proposés aux médecins auraient un petit goût de retour à la maîtrise comptable aux yeux des industriels du médicament.
Au chapitre «efficience», est-il par exemple demandé aux médecins tentés par l'aventure de prescrire au moins 70 % de génériques en matière de statines. Et c'est précisément ce chapitre «efficience» qui fait réagir l'industrie pharmaceutique, qui y voit une tentative de tourner le dos à l'innovation thérapeutique en incitant les médecins à prescrire des génériques plutôt que des médicaments innovants. Selon bon nombre de participants à un débat organisé à Sciences-Po dans le cadre de la semaine de dialogue sur le médicament, Christian Lajoux, président du LEEM, interrogé sur ces contrats, aurait estimé qu'ils constituaient un infléchissement de la maîtrise médicalisée au profit d'une approche plus comptable.
> H. S. R.
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