PAR les dr DELPHINE de la HAYE SAINT-HILAIRE, pr NATHALIE JEANDIDIER et dr FRANÇOIS MOREAU*
LA PRISE EN charge du syndrome de Turner en période pédiatrique a été largement marquée par le traitement par hormone de croissance, permettant une amélioration relative de la taille finale, et, surtout, par la prise en charge des différentes complications systématiquement recherchées.
Ces enfants et jeunes adolescentes bénéficient d'une surveillance pluridisciplinaire spécialisée (métabolique, orthopédique, cardiaque, psychologique) coordonnée par un centre de référence ou de compétence. La Haute Autorité de santé a publié un « protocole national de diagnostic et de soins » en janvier 2008. La mortalité chez ces patientes demeure supérieure à celle de la population générale, avec une réduction de l'espérance de vie d'une dizaine d'années. Cette réduction pouvant être due à des complications hépatiques, digestives (maladies inflammatoires), auto-immunes, dermatologiques (dégénérescence des naevi cutanés), mais des données récentes ont montré l'impact prépondérant sur la mortalité des dissections aortiques et des pathologies cardio-vasculaires. Les grossesses deviennent un des problèmes majeurs du suivi de ces patientes à l'âge adulte. Il est donc recommandé de poursuivre cette prise en charge multidisciplinaire, ce qui implique une bonne information de l'adolescente et une démarche de transition avec transfert du dossier du centre pédiatrique au centre adulte.
Les nombreux problèmes cardio-vasculaires.
Un quart des patientes adultes atteintes d'un ST ont une malformation cardiaque, et les pathologies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité dans le ST (particulièrement la dissection aortique, survenant le plus souvent sur une dilatation de l'aorte proximale). Le risque est aggravé par la présence d'une HTA ou d'une aorte bicuspide et d'une grossesse. Les malformations les plus fréquentes sont la bicuspidie aortique (16 % contre 2 % dans la population générale) et les coarctations de l'aorte, qui peuvent se compliquer d'un anévrisme ou d'une dissection. Celles-ci ne sont pas toujours dépistées dans l'enfance. Dans le consensus de l'Endocrine Society, une IRM cardio-vasculaire systématique doit être faite dès que cet examen est possible sans sédation, du fait de ses meilleures performances par rapport à l'échographie (les normes étant modifiées en raison de la petite taille).
Le risque de greffe oslérienne doit être systématiquement prévenu. Les anomalies de la repolarisation et de la conduction sont plus fréquentes dans le ST (anomalies de l'onde T, accélération de la conduction auriculo-ventriculaire et allongement de QT). En cas de QT long, une liste de médicaments contre-indiqués est remise à la patiente.
Il existe une HTA chez environ 25 % des patientes de 25 ans. Un holter tensionnel est proposé (HTA essentiellement nocturne).
L'activité physique bénéfique sur le risque cardio-vasculaire doit être adaptée à l'état cardiaque.
Un syndrome métabolique est souvent retrouvé. En dehors de l'hypertension artérielle, des anomalies du métabolisme du glucose sont présentes dans 50 % des cas à l'HGPO, l'apparition d'un diabète de type 2 est fréquente, l'insulinorésistance étant liée à l'obésité ou aux antécédents de diabète de type 2 dans la famille. Le LDL cholestérol et les triglycérides sont augmentés.
Les possibilités de grossesse et ses risques.
Certaines patientes ont une puberté spontanée (16 % environ) ; une grossesse spontanée est exceptionnelle (180 cas dans la littérature, dont 75 % de ST en mosaïque).
Une information complète doit être donnée concernant le risque d'insuffisance ovarienne précoce, les possibilités éventuelles de cryoconservation d'ovocytes ou d'embryons, le risque d'avortements ou de morts inutero et d'anomalies chromosomiques chez le foetus (ST, trisomie 21, avec la possibilité de diagnostic prénatal).
Chez les patientes présentant une insuffisance ovarienne, un traitement estroprogestatif (17 bêta-estradiol associé à un progestatif) doit être poursuivi jusqu'à l'âge physiologique de la ménopause (50 ans), sa tolérance doit être évaluée (signes d'hypoestrogénie, mastodynies). Le suivi gynécologique est celui de la population féminine générale. Une préparation endométriale par hormonothérapie substitutive est primordiale avant tout don d'ovocytes afin d'améliorer la taille et le flux sanguin de l'utérus. L'épaisseur de l'endomètre doit atteindre 7 mm. Des études récentes ont montré des résultats encourageants sur la cryoconservation du tissu ovarien à l'âge pédiatrique, en vue de grossesses à l'âge adulte.
Il existe une bonne réponse aux méthodes de procréation assistée, mais les risques de complications maternelles sont significativement accrus (risque de décès multiplié par 100, selon certains auteurs). Du fait de la petite taille, la pratique de césariennes est plus fréquente. Les diabètes gestationnels, les hypertensions sont habituels (plus de 50 % des cas). Les prééclampsies sont souvent rapportées. Les risques de dilatation et de dissection aortiques (fatales) sont au premier plan, le risque de rupture pouvant atteindre 2 %. Les accouchements prématurés et les retards de croissance inutero sont plus fréquents.
Devant tout désir de grossesse, un bilan cardio-vasculaire complet comprenant une IRM cardiaque (recommandations américaines) doit être pratiqué. Toute bicuspidie aortique, aorte dilatée, antécédent de coarctation sont des contre-indications formelles à la grossesse. L'HTA non contrôlée est une contre-indication relative. Dans ces conditions, seulement environ 20 % des patientes peuvent bénéficier d'un don d'ovocyte.
Toute grossesse, à haut risque de complications materno-foetales, justifie une maternité de niveau 3. Durant toute la grossesse, une surveillance cardio-vasculaire intensive est impérative : PA, calibre aortique par échographie, voire IRM cardiaque (à la fin des 1er et 2e trimestres, mensuellement au cours du 3e et à J8-J15 du post-partum).
Un suivi multidisciplinaire spécialisé.
La prise en charge du ST à l'âge adulte est encore souvent insuffisante, la patiente perdant la notion de suivi spécifique. L'expérience pédiatrique de l'organisation d'un suivi multidisciplinaire spécialisé doit être étendue chez l'adulte, avec la mise en place d'une transition programmée et d'un suivi coordonné impliquant la patiente et devant prendre en compte l'ensemble des particularités évolutives de son syndrome. Les données de la littérature ne permettent pas encore de déterminer des conduites à tenir claires, en particulier dans la prise en charge de l'insuffisance ovarienne, de l'ostéoporose, mais surtout de la surveillance du risque cardio-vasculaire à l'age adulte, en particulier dans le cadre d'un désir de grossesse.
* Service d'endocrinologie, de diabète, des maladies métaboliques, université Louis-Pasteur, Strasbourg, faculté de médecine, hôpitaux universitaires.
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