Le lit d'une souffrance
Toute crise suicidaire n'est pas toujours une urgence absolue, mais elle peut être décompensée à tout moment par un événement d'apparence banale, mais significatif pour le patient. Si la crise surgit habituellement de façon aiguë, très souvent, en réalité, les semaines, voire les mois, passés ont fait le lit d'une souffrance psychique intense, d'une succession de conflits psychiques menant progressivement au projet suicidaire. Les soins sont souvent prodigués au moment de la crise, quand la tension atteint son paroxysme, quand l'acte impulsif remplace la réflexion. Cependant, la prévention primaire est nécessaire et facilitée par la démarche de soins, fréquente avant le geste suicidaire : entre 60 et 70 % des suicidants ont consulté un médecin généraliste le mois précédant le geste, un tiers dans la semaine.
Accompagnement actif
Le médecin généraliste a donc une place privilégiée pour repérer, évaluer l'urgence, la dangerosité, le niveau de souffrance, l'intentionnalité, l'impulsivité ou la résolution. Il peut parfois désamorcer seul les conflits internes de l'adolescent, mais peut s'appuyer aussi sur l'aide des pédopsychiatres de secteur ou libéraux.
La crise suicidaire témoigne d'une impasse psychologique. Dans tous les cas, le médecin doit favoriser la mise en mots de la souffrance de l'adolescent et l'expression de ses émotions. « Te sens-tu triste, impuissant ? Dans quel état d'esprit es-tu ? Qu'as-tu sur le cœur ? » Le médecin généraliste doit adopter un accompagnement actif sans attendre les confidences. La mise en confiance sera d'autant mieux établie que le praticien suivra le cheminement et les thèmes choisis par l'adolescent, sans les sous-estimer ou les banaliser, mais bien en les reconnaissant comme valables et partageables.
Le partage des émotions instaure un climat de confiance et brise le sentiment d'être seul, si prégnant chez un adolescent en prise à de fortes angoisses d'abandon. Par ailleurs, au cours d'une crise suicidaire, les capacités cognitives et de mentalisation sont sidérées et il est impossible au patient de répondre à « mais, pourquoi un tel geste ? ».
La consultation reprend ensuite les événements de vie récents (deuils, abandon, abus sexuel, carences, maltraitances, prise de toxique...) et permet d'aborder le contexte, l'existence d'une vulnérabilité, d'une impulsivité fréquente à l'adolescence.
L'aider à trouver des solutions
Pour donner le sentiment que la mort n'est pas l'unique solution à ses problèmes, il faut aider l'adolescent à trouver des solutions concrètes et rapides : « Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? » Des perspectives de réponses différées peuvent parfois diminuer l'urgence suicidaire. Avec l'accord de l'adolescent, le médecin peut solliciter l'aide de l'infirmière ou du médecin scolaire, ou de tout autre personne de confiance. Les capacités d'étayage de l'entourage doivent être évaluées et l'implication des parents doit être recherchée, même si l'adolescent souhaite les tenir à l'écart dans un premier temps. Le secret peut être garanti tant qu'il ne nuit pas à la sécurité du patient.
Une réponse adaptée à l'urgence
Quand le degré d'urgence de la crise suicidaire est faible, le médecin peut proposer de revoir l'adolescent rapidement, dès le lendemain, voire quelques heures plus tard, établissant ainsi une sorte de « contrat de non-suicide ». L'adolescent en crise attend un étayage concret et rapide. Une fois la crise désamorcée, il peut être utile d'organiser des rendez-vous de « postcrise » moins fréquents en attendant un éventuel relais de prise en charge avec un spécialiste. Le médecin généraliste reste alors un repère fondamental pour l'adolescent dans son parcours de soins parfois irrégulier.
Très souvent seul en première ligne, le médecin généraliste devrait pouvoir bénéficier d'un avis spécialisé accessible rapidement en fonction de l'urgence de la situation. Notamment, lorsque le degré d'urgence de la crise suicidaire est élevé avec un scénario planifié, un vécu de désespoir ou d'impuissance totale, avec ou sans menace suicidaire explicite, lorsque l'adolescent est tellement pris dans ses pensées suicidaires qu'il n'a pas la liberté de les évoquer avec souplesse et recul, alors il convient de le diriger vers les urgences médicales ou pédiatriques de l'hôpital le plus proche. L'évaluation médicale y sera somatique et psychique. La présence d'infirmiers psychiatriques et de (pédo)psychiatres y est maintenant de règle.
Une hospitalisation souvent courte de 48 à 72 heures est généralement proposée, en pédiatrie ou en (pédo)psychiatrie si nécessaire. Ses objectifs sont une évaluation précise et globale des troubles psychiques, des facteurs de risque (antécédents personnels et familiaux, vulnérabilité, troubles psychiatriques, capacités d'étayage de l'entourage). Elle offre un moment de séparation intéressante avec l'entourage au moment où l'adolescent a mis en acte une rupture avec ses liens d'attache. Elle facilite aussi l'organisation des soins ultérieurs et permet parfois la présentation de l'adolescent à l'équipe qui va s'en occuper. Certaines études montrent son utilité de prévention contre les récidives précoces.
Place des psychotropes
Les antidépresseurs ne sont d'aucune utilité en cas d'urgence où seule la protection (hospitalisation) compte. Leur prescription chez l'adolescent est actuellement remise en question. Elle doit être réservée aux adolescents présentant une dépression « caractérisée » et doit être réévaluée fréquemment du fait des risques de majoration de l'impulsivité de l'adolescent pouvant favoriser le passage à l'acte.
* Bibliographie sur demande.
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