L'IMAGE apparaît sur le grand écran, montrant une belle automobile à l'ancienne dans un graphisme un peu Art déco. Le père de famille s'apprête à embarquer avec sa femme et son bébé. Le slogan laisse pantois « Ne prenez jamais la route après un bon repas sans un petit verre de Cointreau ». Autre temps, autre mœurs. Cette affiche de 1935, présentée par le Dr Charles Mercier Guyon (secrétaire du Conseil médical de la prévention routière et expert à la Direction générale des transports de la Commission européenne), illustre à quel point toute campagne de prévention est étroitement liée aux mentalités. « Jusqu'en 1954, l'alcool était considéré comme une circonstance atténuante dans un accident de voiture », a rappelé le Dr Mercier Guyon. Selon lui, « il n'existe aucune définition au niveau international de ce qu'est la prévention ou une politique de la prévention », ce qui ne facilite pas les comparaisons entre pays. Des intervenants allemands et français, lors de la réunion organisée par le laboratoire Schering, se sont pourtant essayés à cet exercice, qui révèle de nombreuses similarités, mais aussi des divergences, liées notamment au degré de centralisation de l'Etat.
Bonus et malus.
Si le système de santé allemand semble se rapprocher du système français par sa volonté d'assurer des soins de qualité à tous, son organisation diffère du fait du statut fédéral de l'Allemagne. Quatre-vingt-dix pour cent des Allemands bénéficient d'une assurance-maladie obligatoire, les 10 % restants, plus fortunés, ayant choisi une assurance privée. Selon le Dr Harald Herholtz, directeur du département assurance qualité santé de l'Association des médecins du land de Hesse (une sorte d'union régionale), les premiers acteurs de la prévention sont avant tout les 140 000 médecins de ville, puis les caisses. Le système souffre, selon lui, d'une absence de vision globale (les programmes sont régionaux), du système de volontariat (qui limite l'impact du dépistage, par exemple) et d'un manque d'évaluation des campagnes de santé publique.
Le médecin allemand se félicite cependant de la quantité et de la diversité des programmes mis en œuvre dans son pays, de l'importance des sommes injectées dans le système de prévention (2,62 euros par tête, selon le Dr Herholtz) et du niveau de qualité des examens, accessibles à tous. Le Dr Herholtz a détaillé le mode de fonctionnement de la prévention allemande selon un système de bonus » et de « malus ». « Vous devez répondre à un certain nombre d'actions de prévention déterminées en fonction de votre sexe et de votre land », a-t-il expliqué. Chacun dispose d'un catalogue d'actions à réaliser volontairement dans l'année (par exemple, un EEG, un vaccin, etc.) et qui font gagner des points ou « bonus », transformables en cadeaux. « Par exemple, si vous accumulez 5 000 points, on vous offre un VTT », a expliqué le Dr Herholtz, qui a cité également les voyages, ou la diminution de certaines cotisations.
Inversement, le patient qui refuse de faire des visites de prévention chez son dentiste voit ses cotisations augmenter.
Enjeux économiques.
La prévention est avant tout affaire d'économie. Selon le Dr Herholtz, « tout ce que l'on sait en matière de prévention, on le savait il y a dix ans, mais la seule différence est que les dépenses de santé ont augmenté », entraînant une nécessité politique de développer les campagnes de santé publique. La question des limites est alors au cœur du débat. Ainsi, a rappelé le Dr Charles Mercier Guyon, quand on diminue les accidents mortels, on augmente le nombre de personnes souffrant de séquelles.
D'où la récente notion d'espérance de vie sans incapacité. En Allemagne, un marché parallèle se développe contre lequel le Dr Herholtz met en garde. Des médecins proposent ainsi, hors remboursement, des tests PSA pour dépister le cancer de la prostate, ou encore le vaccin contre la poliomyélite. Le risque est, selon lui, de tomber « dans un charlatanisme dangereux : par exemple, certains proposent un scanner complet de l'ensemble du corps. Vous imaginez la dose de rayons que prend le patient ? », explique-t-il, sans exclure que de telles dérives apparaissent en France.
Il semble cependant que, dans l'Hexagone, le système soit beaucoup plus encadré, tandis que l'Allemagne, pour des raisons historiques, refuse la notion de soins obligatoires ou d'Etat centralisé. Le Dr Mercier Guyon a d'ailleurs opposé la vision nordique fondée avant tout sur l'éducation individuelle, et la vision latine dans laquelle la société doit protéger l'individu, l'éducation servant « à faire accepter la règle pensée par les décideurs ». Pour sa part, le Pr Joël Ménard, professeur de santé publique, ancien directeur général de la Santé, a rappelé les points positifs de la coopération européenne en matière de prévention, notamment dans le domaine des maladies infectieuses. Citant les réseaux d'alerte sur la légionellose et la salmonellose, il a estimé que la collaboration européenne doit être « absolument amplifiée » et a sollicité les industriels pour qu'ils développent les recherches sur les antibiotiques.
Pour le Dr Herholtz, il s'agirait de mettre en place « une agence qui serait chargée d'établir des programmes de prévention au niveau européen » avec « une norme plancher et une protection du citoyen vis-à-vis du charlatanisme, car la prévention, ça devient un marché énorme ».
Reste ensuite à trouver un consensus européen, mais ça, c'est une autre histoire.
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