LE SUICIDE des personnes âgées n'est, le plus souvent, pas dû à un seul facteur, mais le résultat d'une somme de désordres psychologiques, sociaux, biologiques et somatiques. Les maladies physiques, en particulier algiques, pèsent de façon déterminante sur le passage à l'acte dans cette tranche d'âge. Et si la dépression reste le facteur de risque le plus fréquemment retrouvé, l'épisode dépressif est généralement atypique, avec, parfois, au premier plan, des plaintes somatiques et des symptômes corporels.
En outre, relève le Dr Delphine Morali – qui a présenté, lors des Entretiens de Bichat, les résultats d'une étude réalisée conjointement par l'unité de suicidologie, de psychotraumatologie et d'addictologie du CHU Tenon (AP-HP) et du pôle des urgences et de psychiatrie du CHRU de Lille –, «une grande prudence est nécessaire après une annonce diagnostique» au regard de la dangerosité du suicide dans cette classe d'âge. Le taux d'aboutissement au décès y est en effet particulièrement élevé, le suicidant étant souvent très déterminé, le passage à l'acte fréquemment préparé avec soin et les moyens employés plus souvent létaux (précipitation, pendaison, arme à feu, noyade).
Parmi les particularités de la crise suicidaire chez le sujet âgé, les auteurs (L. Jehel, D. Morali, F. Ducrocq, G. Vaiva) soulignent le rôle majeur du vieillissement et de ses conséquences (perte d'autonomie, isolement progressif…), des symptômes dépressifs qui s'accompagnent de pulsions violentes et agressives – en particulier des comportements autoagressifs révélateurs d'une intention de renoncement à la vie –, ainsi que des idées délirantes.
L'utilité des outils psychométriques.
Actuellement, 3 500 personnes âgées de plus de 65 ans meurent par suicide chaque année en France. Afin d'endiguer ces chiffres, il est essentiel d'intervenir «le plus en amont possible», en sachant reconnaître les indices de précrise et de crise suicidaires : la perte de l'estime de soi ( «Je ne vaux plus rien»), le sentiment d'incapacité et d'impuissance ( «Je n'y arrive plus»), le désinvestissement de la réalité et de la relation à autrui (parfois jusqu'à la confusion), l'intensité de l'angoisse, l'inhibition et le ralentissement psychique, mais aussi l'accessibilité à des moyens létaux (arme à feu en particulier, sachant qu'un Français sur cinq en possède une). Il faut interroger les idées de suicide et évaluer le discours sur la mort : cette dernière est-elle présentée comme une simple éventualité, acceptée passivement, attendue, voire désirée, réclamée à autrui, planifiée… ? Le passage à l'acte est-il imminent ?
Toutes modalités d'actions préventives qui passent par la sensibilisation et la formation des acteurs gérontologiques, dans une approche multidisciplinaire, mais aussi par des indicateurs d'aide au repérage des personnes âgées les plus à risque. «Le dépistage par des outils psychométriques peut se révéler extrêmement utile pour optimiser la reconnaissance des personnes âgées traversant une crise potentiellement suicidaire», estiment les auteurs, qui recommandent la Geriatric Depression Scale (GDS), la Beck Depression Inventory (BDI) et le General Health Questionnaire (GHQ).
Les interventions individuelles ne sauraient constituer le seul axe d'une telle stratégie de prévention. Elles doivent être complétées par des interventions communautaires, mises en place par des réseaux de soins, dans des lieux de résidence de personnes âgées. Avec pour objectifs d'informer sur le repérage des signes de gravité, de renforcer les stratégies d'entraide et de déstigmatiser la psychiatrie.
Enfin, des efforts d'innovation restent nécessaires pour améliorer la mise à disposition des aides spécifiques répondant aux attentes et aux modes de vie, comme aux handicaps, des personnes âgées.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature