Entamé le 15 novembre dernier dans une relative indifférence, le mouvement de grève des gardes des généralistes a obtenu ces derniers jours un écho médiatique exceptionnel et soulevé une vague de réactions généralement bienveillantes, voire franchement favorables.
Ce retentissement, qui accompagne le durcissement du conflit, risque de peser lourd. A la veille de l'ouverture de négociations entre les représentants des généralistes et la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), la pression est désormais très forte sur le gouvernement pour qu'il augmente uniformément les actes de base. Interrogée sur RTL, Elisabeth Guigou a jugé « excessives » les exigences tarifaires de l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF) et du Syndicat des médecins libéraux (SML) qui réclament la revalorisation immédiate de la consultation de 17,53 à 20 euros et de la visite de 20,58 à 30 euros. Ces revendications correspondent, avait estimé la ministre, « à 140 000 F (21 343 euros) par médecin ». « C'est une augmentation de 20 %, je crois qu'aucune catégorie socio-professionnelle ne l'a obtenue », avait-elle tranché, sans exclure toutefois une hausse de la rémunération de l'acte à un niveau « raisonnable ». Des déclarations aussitôt jugées « irresponsables et inutilement provocantes » par les syndicats, qui appellent à la grève.
Les spécialistes dans le conflit
Dans cette bataille des honoraires, les syndicats à la pointe du conflit ont quelques atouts majeurs.
Le premier élément favorable est le succès du mouvement sur le terrain qui ne se dément pas. Selon l'UNOF, qui produit presque un communiqué par jour depuis six semaines, la grève des gardes est toujours « très bien suivie » par les médecins de famille ; quelque 5 000 généralistes auraient été réquisitionnés dans la quasi-totalité des départements français, ce qui a parfois donné lieu à des abus et ratés sérieux (réquisition du même médecin plus de 30 nuits de suite dans l'Allier, praticiens non avertis réquisitionnés en Haute-Garonne, etc.). La grève des gardes perturbe fortement l'activité des SAMU-Centre 15 qui doivent réguler depuis plusieurs semaines un flux très inhabituel d'appels.
Dans une lettre ouverte adressée notamment au président de la CNAM, le Pr Paul Petit, président de SAMU de France, hausse le ton. Il juge « impératif et urgent que des négociations constructives soient enfin ouvertes » et il souhaite que « des solutions à ce conflit soient rapidement trouvées ».
Plus problématique pour le gouvernement : une journée de « cessation totale d'activité » de l'ensemble des médecins libéraux a été arrêtée pour le mercredi 23 janvier. L'Union nationale des médecins spécialistes confédérés (UMESPE, branche spécialiste de la CSMF), majoritaire, appelle tous les spécialistes de ville à « suivre massivement » ce mot d'ordre de « journée sans toubib ». Si SOS-Médecins participe à l'opération (la décision devait être prise hier), c'est toute la médecine de ville qui sera plongée dans la grève pendant vingt-quatre heures. Absent du conflit jusque-là, le SMI France (6,9 % aux élections aux unions) estime qu'il est temps de préparer une « action commune à tous les syndicats et de coordonner une grève » qui dépasse « les clivages syndicaux traditionnels ».
Le mouvement des généralistes s'est déjà radicalisé dans plusieurs départements avec le retour des coordinations médicales, difficiles à canaliser. En Corse, dans la Manche, la Drôme et la Loire-Atlantique, des médecins ont décidé d'appliquer des « tarifs sauvages » en décidant unilatéralement une hausse de leurs honoraires, dérive illégale que ne cautionnent pas les syndicats.
Soutiens à gauche
L'autre atout dont disposent les grévistes à la veille des négociations avec l'assurance-maladie est la vague de soutien et de propos bienveillants qui a déferlé depuis quelques jours. Cette dynamique tend à légitimer l'action contestataire des généralistes.
Comme on pouvait s'y attendre, le RPR, par la voix de son secrétaire général, Serge Lepeltier, a stigmatisé sur BFM le « dogmatisme » du gouvernement face aux revendications et a souligné « le problème de reconnaissance » des médecins. Claude Goasguen, porte-parole de Démocratie libérale (DL), a condamné les propos d'Elisabeth Guigou, qui « joue le pourrissement et l'enlisement du dossier ». « Elle discrédite les médecins généralistes et leurs revendications légitimes », a-t-il enchéri. Et ce qui embarrasse encore plus la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, c'est que la fronde des généralistes a trouvé des appuis explicites à gauche, au sein même du gouvernement.
Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports et secrétaire nationale du PCF, a déclaré sur LCI qu' « il faut négocier ; la profession de médecin est de plus en plus difficile ». « On aboutira » à une revalorisation des tarifs, a-t-elle promis. Michel Suchod, porte-parole de Jean-Pierre Chevènement (MDC), a lui aussi estimé que « les augmentations de tarifs réclamées [par les syndicats grévistes] sont parfaitement raisonnables ». Il plaide pour un système de soins qui rémunère « correctement » les médecins.
Même dans les rangs socialistes, des voix se font entendre pour réclamer un effort sur les honoraires, seul moyen d'éviter que le conflit ne pourrisse jusqu'à l'élection présidentielle.
Les confédérations de salariés, enfin, ne sont plus absentes du débat. Evoquant une « situation de crise » et le « silence méprisant » du gouvernement, Marc Blondel (FO) plaide pour « la revalorisation immédiate des consultations et des visites ». Pour la CFTC, la CNAM « doit apporter au plus vite une première réponse sur les honoraires ».
Politesse mais méfiance
Dans ce climat tendu, la Caisse qui, depuis la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000, a la mission délicate de gérer l'enveloppe des honoraires et de proposer des évolutions tarifaires, devra déployer des trésors de pédagogie pour convaincre les représentants des généralistes.
Le Dr Michel Chassang, président de l'UNOF, reste catégorique. « A 18,5 euros [pour le C] , le mouvement des généralistes ne s'arrêtera pas. » Le syndicat qui réunit ses instances aujourd'hui devrait répondre à l'invitation de la CNAM « par politesse » ; mais le Dr Chassang se dit « extrêmement méfiant et prudent », car la Caisse, ajoute-t-il, « ne dispose d'aucune marge de manuvre ». Il refusera en tout cas « les travaux d'Hercule » que constituerait une refonte globale de la nomenclature généraliste. Quant à MG-France, deuxième syndicat de généralistes, il estime qu' « une annonce forte (...) est nécessaire » dès la rencontre de demain. Le syndicat signataire de la convention généraliste, qui a adopté une stratégie moins frontale que l'UNOF, considère que seule « une revalorisation immédiate des tarifs » et « la mise en place d'une politique ambitieuse de réforme des conditions d'exercice » permettra d'éviter la radicalisation générale du conflit.
Dans ce concert, le Syndicat de la médecine générale (SMG), minoritaire, a décidé de faire entendre une « autre voix ». Le SMG, qui ne s'est pas associé à la grève des gardes, explique que « des médecins existent, qui veulent changer leurs conditions de travail, ne plus être exclusivement payés à l'acte, inclure un travail en réseau avec d'autres, être rémunérés pour la prévention ». Il observe que « tous les généralistes n'ont pas fait grève » et que « beaucoup ont continué à soigner leurs patients ou simplement dit qu'ils prenaient des vacances ».
Des revendications qui diffèrent selon les syndicats
Si un mouvement unitaire semble se dessiner parmi les syndicats de médecins généralistes pour réclamer une augmentation de leurs honoraires, leurs revendications diffèrent parfois légèrement sur le montant et les formes de cette augmentation.
Pour l'Union nationale des omnipraticiens français (UNOF), majoritaire chez les médecins généralistes (40,9 % aux élections professionnelles), et le syndicat des médecins libéraux (15,9 %) qui sont à l'origine du mouvement de grève des gardes de nuit et de week-end, leur revendication est simple et n'a pas varié depuis le début : le passage de la consultation de 17,53 à 20 euros et celui de la visite à domicile à 30 euros. Ils font de ces augmentations un préalable à toute autre discussion sur le statut du généraliste et la diversification de ses modes de rémunération. La consultation à 20 euros est une revendication « honnête qui correspond à la réactualisation du prix de la consultation », estime de son côté, le Syndicat des médecins indépendants de France (6,9 % aux élections) qui réclame une revalorisation de la visite médicale d'urgence pour les médecins travaillant dans des structures comme celles de SOS-Médecins.
MG-France, l'autre grand syndicat représentatif des médecins généralistes (30,9 % des voix aux élections), et seul signataire de la convention actuelle attend de la Caisse nationale d'assurance-maladie une réponse en deux volets : une revalorisation immédiate des tarifs, notamment celui de la consultation à 18,5 euros, et la mise en place d'une réforme « ambitieuse » des conditions d'exercice des généralistes.
Enfin, la Fédération des médecins de France (5,2 %), qui s'est associée depuis le début au mot d'ordre de grève des gardes de nuit et de week-end, prône purement et simplement un retour à la liberté des honoraires.
La Caisse nationale d'assurance-maladie, qui souhaite « mettre fin à la spirale du volume des actes » propose de son côté d'étudier de nouvelles modalités de rémunérations pour des tâches spécifiques : l'astreinte des médecins pour la nuit et les jours fériés, leur participation au service public des urgences, la prise en charge continue des patients atteints de pathologies chroniques, des personnes âgées ou des enfants, les particularités à l'exercice en milieu rural ou encore leur participation à des réseaux de soins coordonnées.
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