Y AURAIT-IL un mercato du corps médical ? Certains directeurs d'hôpital, qui voient les médecins quitter les uns après les autres leur établissement, ne sont pas loin de le penser. «Nous travaillons dans des petits milieux, les cliniques connaissent parfaitement les gens. Il y a des transferts de médecins comme il y a des transferts de joueurs de foot, explique Philippe El Saïr, président du SNCH (Syndicat national des cadres hospitaliers). Le phénomène est d'autant plus fort que la période où les gens se sentaient une fidélité à vie à leur hôpital se termine. Les médecins examinent les propositions qui leur sont faites, ils ne sont plus dans le registre de la foi.»
L'hôpital public – où 15 % des postes de PH environ seraient vacants, ce pourcentage augmentant au fil des tours de recrutement – se vide donc de ses médecins. Les fuites concernent les jeunes qui préfèrent le libéral – en début d'internat, 50 % des futurs médecins pensent faire carrière à l'hôpital ; quatre ans plus tard, ils ne sont plus que 20 % ; elles se produisent aussi avec les moins jeunes qui, lassés, quittent l'hôpital en prenant leur retraite avant l'heure.
Cocktail détonant.
Ceux qui restent mesurent-ils l'ampleur du phénomène ? «Il n'y a peut-être pas encore un nombre impressionnant de praticiens qui ont déjà quitté l'institution, mais le mouvement est dans les têtes, insiste le Dr Jean-Claude Pénochet, secrétaire général de la FPH (Fédération des praticiens des hôpitaux). Il y a une rupture entre l'hôpital et ses médecins, même les plus anciens.» Du fait de ce « désamour », «le service public est en train de basculer», estime pour sa part le président de la FPH, le Dr Pierre Faraggi. En période de basses eaux démographiques – en tout cas dans certaines spécialités – et dans le contexte budgétaire nouveau de la T2A (tarification à l'activité), le cocktail est détonant. «Le nerf de la guerre aujourd'hui, c'est le recrutement médical», fait valoir Philippe El Saïr. En effet, hors activité, point de revenus, et qui produit l'activité à l'hôpital sinon les médecins ? Du coup, les établissements se retrouvent à devoir faire face à «une double concurrence, constate le patron du SNCH : entre le public et le privé mais aussi entre le public et le public!».
Pour les spécialités où les écarts de revenus entre le public et le privé sont énormes – on flirte parfois avec des rapports de un à cinq –, les arguments (rémunération quasi monolithique, gardes et astreintes…) de l'hôpital sont bien minces quand il s'agit de retenir ou d'embaucher des médecins. «Il nous faut trouver des croisés», résume, ironique, Philippe El Saïr.
La « carotte » de l'activité privée.
La radiologie, l'oncologie, l'anesthésie… font partie de ces spécialités dites « sinistrées » pour lesquelles les hôpitaux n'ont parfois d'autre choix que de recourir au très cher « mercenariat ». «Mais quand on paye 1000euros les 24heures, on est vite prêt à faire n'importe quoi… pour ne plus le faire», témoigne un directeur d'hôpital. Alors, les établissements bricolent. «Le marché de l'interim est dopé, la concurrence est sauvage, poursuit notre témoin. On se fait piquer un médecin, deux médecins… et puis on regarde les choses d'un peu plus près.» C'est ainsi que des libertés sont prises, par exemple, avec le statut de praticien contractuel dont les émoluments correspondent en théorie à ceux du 4e échelon de PH, mais qui sont souvent payés bien au-delà. «Les règles sont complètement bafouées», constate Philippe El Saïr.
L'activité privée à l'hôpital, qui permet aux médecins d'arrondir leurs fins de mois, reste une carotte. D'autres établissements n'en disposent pas, comme les centres de lutte contre le cancer (CLCC). «Autrefois, on faisait le choix du privé en se disant qu'on allait gagner de l'argent en sacrifiant la qualité du travail, juge le Dr Gérard Nitenberg, directeur médical exécutif de l'institut Gustave-Roussy (Villejuif). Aujourd'hui, les centres privés sont de très haut niveau: ils offrent des conditions de travail équivalentes à celles des CLCC avec des rémunérations très supérieures.» Comment se défendre ? «Restent la recherche –et en particulier la recherche transfonctionnelle–, l'innovation technique ou médicale», répond le Dr Nitenberg. De la même façon, l'hôpital soigne ses atouts : «Quand on propose un bel outil aux gens, quand le nombre de PH de leur équipe est suffisant, quand leurs conditions de travail sont correctes et modernes, quand le climat de l'établissement est serein, quand on accompagne les projets des gens, on arrive à garder une attractivité», explique Philippe El Saïr. Mais cela demande une très grande attention. Le président du SNCH l'admet en effet : «Le recrutement des praticiens est devenu ma priorité. Je reçois moi-même les PH, je m'assure personnellement que les engagements pris envers eux sont tenus.»
Coup d'accélérateur avec le CNG
Très officiellement installé il y a tout juste une semaine, le CNG (Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière) doit permettre, entre autres, de fluidifier la procédure de nomination des PH – la ministre de la Santé a indiqué en l'inaugurant qu'il incombait à cette nouvelle structure de «revivifier la gestion des ressources humaines».
L'accélération est donc à l'ordre du jour. Jusqu'à présent, il n'était pas rare que l'affectation d'un PH sur un poste prenne... 18 à 24 mois ! Les délais sont maintenant sérieusement raccourcis, ne serait-ce que parce qu'il y a deux tours par an au lieu d'un seul. Résultat : «C'est plus souple, commente un directeur d'hôpital. On a gagné en vitesse, et on en avait besoin.»
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