SELON LE SOCIOLOGUE Ulrich Beck, nous serions aujourd'hui passé d'une société industrielle à une société du risque. La première a détruit la société agraire prisonnière du système féodal pour faire émerger un système centré sur la répartition des richesses ; la seconde, notre modernité devenue « réflexive », a subi le contrecoup des succès scientifiques et techniques accumulés depuis le XIXe siècle et doit affronter la menace non pas d'une nature hostile mais celle de maux qu'elle a elle-même engendrés. Nous sommes désormais dans une société de répartition des risques. Selon cette vision, le risque aurait changé de nature : aux catastrophes naturelles, épidémies, accidents industriels ou des transports qu'on cherchait à rendre prévisibles ou maîtrisables (recherche des causes) sont venus s'ajouter d'autres risques plus impalpables qui échappent à nos sens et dont les conséquences délétères peuvent être différés (Tchernobyl, OGM, téléphones mobiles, nouveaux virus).
Le principe de précaution s'inscrit dans ce contexte. Il oblige à tourner le regard non plus en direction du passé mais vers l'avenir. L'accent est mis sur l'anticipation plutôt que sur une réparation rendue impossible. Le changement est d'importance et touche à nos schèmes mentaux, explique le philosophe Dominique Bourg (directeur du centre de recherches et d'études interdisciplinaires sur le développement durable, université de technologie de Troyes). L'ancienne règle d'or « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fit »<\!p>ne peut plus fonder la responsabilité puisque les effets de l'action (les dommages) ne sont plus immédiats.
Générations futures.
Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, dans un rapport de 1999 pour le Premier ministre Lionel Jospin, définissent le principe de précaution comme « l'attitude que doit observer toute personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu'elle comporte un danger grave pour la santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour l'environnement ». La définition étend à la santé un principe qui avait d'abord été conçu pour l'environnement et pour lequel la loi Barnier du 2 février 1995 précisait que, conformément au principe de précaution, « l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ». Précocité et proportionnalité de la réponse, en situation de certitudes afin de limiter des risques potentiels ou hypothétiques, caractérisent la précaution, au contraire de la prévention qui, elle, s'attache à contrôler les risques avérés.
Applaudi par certains, décrié par d'autres, le principe de précaution, qui figure dans la loi constitutionnelle relative à la Charte de l'environnement du 28 février 2005, ne fait pas l'unanimité. On l'accuse d'être « contraire à la raison », de représenter un « frein au progrès » et à « l'innovation ». Son autre inconvénient, qui serait « encore plus subtil et plus grave », selon le Pr Maurice Tubiana, serait qu'il pourrait contribuer à justifier une politique du parapluie consistant à prendre des décisions non pas en raison d'un risque réel mais parce qu'elle protège le décideur. En médecine, où le risque est partout présent, une telle attitude conduirait, par trop de prudence, à une abstention thérapeutique préjudiciable pour le patient.
Il peut être la « meilleure et la pire des choses », affirme le Pr Tubiana. Un instrument à manier avec prudence mais utile à l'action. « Au dicton, "Dans le doute, abstiens-toi" , le principe de précaution substitue l'impératif" Dans le doute, mets tout en œuvre pour agir au mieux " », concluent Philippe Kourilsky et Geneviève Viney.
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