De tous temps, les adolescents ont cherché des objets d'excitation pour découvrir les plaisirs que pouvait leur procurer leur corps et nourrir leur imaginaire sexuel. Aujourd'hui, ils n'ont plus à les chercher, ils leur sont imposés sous forme d'images, de la publicité à la pornographie explicite en passant par de multiples autres supports médiatiques.
Privilège exorbitant des images aidant, notre société a plongé dans l'exhibitionnisme social, professionnel, politique, mais également sexuel. Cet exhibitionnisme est délibéré et pervers ; l'impact des images pornographiques sur les plus jeunes n'est pas un effet secondaire de ce monde des images mais le but inconsciemment recherché, dit Gérard Bonnet. Cet exhibitionnisme collectif est dangereux pour les sujets fragiles que sont les enfants et les adolescents, parce qu'il peut les empêcher d'accéder à une vie sexuelle créative et partagée. L'obscénité déplaisante de la plupart des représentations actuelles du sexe est un obstacle sur le chemin de la découverte de la beauté.
Impudeur collective
Les plus jeunes sont victimes d'un exhibitionnisme d'autant plus violent qu'il est anonyme. Les images pornographiques aliénantes, parce que sans arrière-plan relationnel identifiable, bloquent l'accès à la génitalité et parasitent le tissu nourricier issu de l'enfance qui permet l'élaboration des fantasmes et d'une sexualité différente pour chacun. Etouffé sous une avalanche d'images frelatées, l'imaginaire se tarit, l'articulation entre sexualité pulsionnelle et sexualité génitale devient difficile, ouvrant la porte aux difficultés relationnelles. Sous couvert de liberté des murs, nous aliénons nos enfants en leur imposant un réalisme paralysant. Ceux qui fabriquent les images et les montrent (qu'il s'agisse de pub ou de film) établissent avec les enfants une relation dissymétrique dont ils sont les maîtres, affirme ce psychanalyste, auteur de nombreux ouvrages sur la sexualité. Qui dit exhibitionnisme dit voyeurisme. Transformés en voyeurs et particulièrement touchés par la chosification du sexe dans la mesure où ils ne connaissent pas la plénitude du plaisir orgasmique, ils oublient la raison première de la sexualité génitale, faciliter la rencontre avec l'autre envisagé dans sa différence essentielle.
Tout le monde est complice, y compris les parents désarmés qui, sous prétexte de respect de l'intimité de leurs enfants, cautionnent l'impudeur la plus totale en les laissant voir des images pornographiques. « Il ne suffit pas de s'en prendre aux pédophiles avec un acharnement qui tient parfois de l'obsession, il est temps que chacun balaie devant sa porte, car cette exploitation commence par images interposées dans nos propres maisons », explique Gérard Bonnet.
Ni tout répressif ni tout permissif
Si le dieu Phallus dévore aujourd'hui ses enfants, c'est que le monde est désorienté, « qu'il se laisse prendre aveuglément aux tourbillons de l'une des pulsions les plus nécessaires à toute mise en relation sans se rendre compte qu'au delà d'un certain seuil elle devient inévitablement mortifère ». Exhibitionnisme individuel et exhibitionnisme collectif sont sans doute destinés à conjurer l'effroi engendré par notre monde de plus en plus complexe, perdus que nous sommes entre l'infini grandeur de notre univers et l'infiniment petit des particules élémentaires qui nous constituent.
Alors que les fondamentalistes tentent de combattre l'effroi par les mythes bibliques et l'ignorance, notre société libérale propose via la pornographie et le mythe de la performance sexuelle « un repli sur le corps érotique devenu l'île de tous les plaisirs », déplore Gérard Lambert. Regardons les choses en face et tentons de comprendre ce qui conduit les adultes à agir de la sorte et les plus jeunes à s'y laisser prendre. Refuser cet asservissement, montrer que la sexualité est autre chose qu'un moyen de consommation de plus, c'est possible et cela ouvre la porte à des relations plus apaisées, dit-il. Un livre à mettre entre toutes les mains.
« Défi à la pudeur. Quand la pornographie devient l'initiation sexuelle des jeunes », Albin Michel, 229 pages, 18 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature