Ce n'est ni la première fois, ni la dernière, que le Conseil constitutionnel annule tout ou partie d'une nouvelle loi. Son rôle ne consiste pas à empêcher le Parlement de légiférer, mais à s'assurer que les textes sont conformes aux dispositions de la loi fondamentale.
Si les décisions adoptées mardi soir par le Conseil ont eu un retentissement aussi grand, c'est parce que, cette fois, et en dépit de ce qu'en dit le gouvernement, plusieurs pans de la politique sociale et médico-sociale de Lionel Jospin sont annulés.
Pour nos lecteurs, la mesure la plus importante du Conseil constitutionnel concerne la suppression de la réforme du système conventionnel telle qu'elle était définie par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Mais le Conseil s'oppose également au financement partiel de la semaine des 35 heures par la CNAM et à celui du fonds qui doit garantir les retraites à long terme.
Le « redéploiement » à la rescousse
Certes, le gouvernement rappelle que les corrections apportées par le Conseil n'empêcheront pas le fonctionnement des systèmes qu'il met en place. On doit comprendre par là qu'il ne renoncera ni aux 35 heures, ni à l'abondement du fonds des retraites. Mais enfin, ces réformes ne coûtent pas trois francs six sous. Il faudra bien, par exemple, que le gouvernement trouve les 16 milliards de francs qu'il ne peut plus emprunter à la Sécurité sociale. Il ne les sortira pas de son chapeau.
Plusieurs élus de la majorité ont aussitôt rappelé qu'ils disposent d'un instrument, qu'ils appellent « redéploiement », et qui se présente en réalité davantage comme un argument que comme un outil efficace. Le redéploiement leur a déjà permis de dire que l'argent donné aux gendarmes et policiers serait pris dans d'autres budgets ; il faut donc qu'ils nous expliquent quels budgets seront affectés (la Défense, la Recherche, la Culture ?) et si ces postes peuvent encore être ponctionnés pour financer la réforme clé de M. Jospin, c'est-à-dire la semaine de 35 heures. On est bel et bien en train de nous parler de sommes qui n'existent pas.
En d'autres termes, le Conseil constitutionnel est allé, cette fois, un peu au-delà de son action traditionnelle : l'ampleur de ses annulations est telle qu'elle remet en cause toute la politique sociale du gouvernement, qu'elle jette un doute sur la viabilité des 35 heures, qu'elle décrédibilise notre protection sociale et qu'elle alarme non seulement la classe politique mais les cotisants et les bénéficiaires du système. Et ce grand coup de froid sur les structures sociales du pays survient, faut-il le rappeler, à cinq mois des élections. Toute cette affaire risque de créer un malaise populaire au sujet de la gestion des affaires sociales par l'équipe de M. Jospin.
Une technique déjà sollicitée
Les accords conclus ces derniers mois entre le gouvernement et diverses catégories professionnelles ont déjà beaucoup sollicité la technique du redéploiement. Laquelle ne pourrait servir à compenser les 16 milliards de la Sécurité sociale sans désorganiser beaucoup de ministères. Derrière la décision du Conseil constitutionnel qui, pourtant, n'agit qu'en droit, on décèle donc une contestation plus large d'un mode de gestion plus prompt à établir les objectifs qu'à en concevoir la faisabilité. Le ministre de l'Economie et des Finances commençait déjà, après les fonds accordés aux gendarmes, à grommeler dans sa barbe. Avec les 16 milliards manquants des 35 heures, il va bien devoir dire la vérité, à savoir qu'on ne pourra les financer que si on creuse le déficit budgétaire, pourtant considérable, ou si on augmente les impôts, ce qui serait anathème, surtout en période préélectorale.
Le gouvernement ne devrait pas être surpris de ce qui lui arrive : un projet n'est viable que s'il y a de l'argent pour le rendre opérationnel. L'idée d'aller chercher les fonds dans des caisses qui sont prévues pour des financements spécifiques sans relation aucune avec les ambitions d'une réforme n'est pas seulement sacrilège. Elle ne tient pas debout et elle ignore jusqu'à la logique arithmétique.
Tout en serrant la vis aux médecins libéraux, Elisabeth Guigou, ces derniers temps, s'est répandue sur la « bonne surprise » que lui ont réservée les comptes sociaux. Grâce à la croissance, elle a trouvé des surplus de recettes qu'elle n'attendait pas. C'était d'abord feindre d'ignorer que les exercices 2001 et 2002 seront beaucoup moins brillants à cause du chômage ; c'était ensuite tourner le dos à l'avenir immédiat : les caisses de la protection sociale auront bien besoin de quelques réserves pour faire face aux déficits qui accompagneront le ralentissement de la croissance, surtout l'année prochaine. C'était enfin une façon de dire que prendre 16 milliards à la Sécu pour financer les 35 heures ne pose aucun problème.
L'heure de vérité est venue. Plus la France avance dans l'application de la réduction du temps de travail, moins le gouvernement a de moyens pour la payer. Les avertissements n'ont pas manqué : du patronat à l'opposition, tout le monde a crié gare. Et l'équipe Jospin a répondu par un système de bouts de ficelle. Qu'elle ne s'étonne pas, par conséquent, que, au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel, le Medef et la droite réclament un réexamen de la réforme des 35 heures. Certes, ils le font sans ménagements, en exagérant même la portée de l'annulation décidée par le Conseil. Mais le fond du problème n'est jamais apparu aussi clairement : on ne devait lancer la réduction du temps de travail que si la prospérité était garantie pour les années à venir, que si la compétitivité de nos productions ne baissait pas, que si nous avions les marges de manuvre qui l'autorisaient. Le gouvernement a tiré des plans sur la comète. Il lui est impossible de rétablir la semaine de 39 heures, il n'a pas les réserves nécessaires pour faire face aux revendications des salariés de la fonction publique ; et les entreprises ne peuvent cumuler la RTT et des hausses de salaires. C'est toute la politique sociale qui vole en éclats parce que nos dirigeants ont obstinément ignoré des contraintes qui, en définitive, écrasent ses projets.
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