C' EST tout simplement ignoble d'aller faire sauter une bombe dans un groupe de jeunes réunis devant une discothèque. Mais ce n'est ni le premier ni le dernier attentat commis par des Palestiniens en Israël. L'émotion de la presse internationale ne la grandit pas : les Israéliens, eux, n'ont jamais cessé de décrire leurs ennemis comme ils sont. On leur a opposé la puissance militaire de leur pays, leur « devoir moral », leurs dures représailles. On continue à pencher vers l'un ou l'autre camp selon le nombre de ses morts.
Aussi douloureux que les attentats soient pour Israël, ils conduisent les Palestiniens à une impasse. Celui de vendredi dernier leur a fait perdre ce qui leur restait de crédibilité politique. Ils ne peuvent pas continuer à dire qu'ils sont fermement engagés dans la négociation et dans la paix s'ils ne se soumettent pas à un cessez-le-feu durable. Il est clair, en outre, que Yasser Arafat éprouve beaucoup de difficultés à contrôler non seulement les chefs terroristes qu'il a remis en liberté mais ses propres troupes du Fatah. Il ne peut pas parler au nom des Palestiniens s'ils n'obéissent pas à ses ordres.
L'isolement d'Arafat
La violence aveugle des attentats-suicides montre que les Palestiniens, qui l'approuveraient à 80 % selon un récent sondage, rêvent encore de détruire Israël, et non de conclure un accord de partage. M. Arafat, qui a refusé l'accord de Camp David, mesure aujourd'hui la folie de son choix. Il a cru berner l'opinion mondiale en faisant de la répression israélienne son meilleur argument, il sombre dans l'isolement : peu écouté par les Palestiniens, il a perdu beaucoup de son crédit aux yeux des grandes puissances et, pire, auprès des Israéliens eux-mêmes, qui cherchent un interlocuteur de rechange.
Au lendemain de Camp David, nous avions prévu qu'il y aurait un bain de sang. M. Arafat, qui n'a pas eu le courage de faire la paix, découvre ce qui était parfaitement prévisible il y a neuf mois : dès lors qu'il choisissait la violence, il ne parviendrait à en contrôler ni la nature ni le degré.
Personne, ensuite, n'a été surpris de l'effondrement d'Ehud Barak ni de son remplacement par Ariel Sharon. Mais M. Sharon s'est donné plusieurs options, contrairement à M. Arafat. Il a compris d'abord que la violence ne conduit nulle part et qu'au lendemain des incursions de l'armée israélienne dans les territoires, ses concitoyens eux-mêmes lui ont demandé des comptes et réclamé de lui une politique, pas seulement le recours à la force militaire. Ensuite, il n'a été nullement insensible aux appels américains et européens. Enfin, il a fort bien vu qu'un attentat particulièrement odieux lui donnait l'occasion non pas de riposter mais d'exiger de ses ennemis, soudain privés de l'argument « moral », une remise en ordre dans leurs affaires, qui sont devenues complètement anarchiques.
Un Sharon plus patient
Il n'y a pas un pouvoir, dans les territoires, mais dix ou vingt. Il n'y a pas une logique politique, mais seulement une campagne de communication en faveur d'un règlement imposé par les Etats-Unis et par l'Europe ; il n'y a pas de recherche du compromis, mais seulement la haine absolue d'Israël, que les Palestiniens accusent de leur refuser l'indépendance, mais dont ils rejettent aveuglément la présence.
Il est bien possible que, avant même que nous publions ces lignes, l'armée israélienne ait procédé à des représailles. Personne ne niera pourtant que M. Sharon, loin de céder à ses réflexes habituels, a fait preuve de patience. Ce qu'il attend de M. Arafat est à la mesure des coups qu'Israël reçoit. Il ne suffit pas en effet que le chef de l'Autorité palestinienne dénonce les attentats contre des civils. Il faut qu'il les neutralise et il ne les neutralisera que s'il fait retirer les armes qui circulent dans les territoires et s'il remet en prison les extrémistes qu'il a fait libérer en septembre dernier. Il est directement responsable des attentats qu'il condamne.
Sinon, l'Etat d'Israël, indépendant depuis 1948 avec l'aval des Nations unies, ne s'embarrassera pas indéfiniment de considérations morales. L'extrémisme nourrit l'extrémisme. Le discours pacifiste est de plus en plus mal vu en Israël parce que, au bout de tous les discours intelligents, l'instinct de conservation finit par prendre le dessus. Les Israéliens découvrent un peuple qui, sous couvert de l'autodétermination, en est arrivé à rejeter la notion même de leur existence. Or il n'y a pas de voie pacifique vers l'élimination d'un peuple. Allez dire aujourd'hui aux Israéliens qu'ils doivent tendre l'autre joue !
Le moraliste et l'arithmétique
Bien entendu, il ne s'agit nullement de renoncer à la négociation. Il s'agit au contraire de démontrer qu'elle est incompatible avec la violence et que la guerre ne fait que la retarder. Or les Palestiniens y ont cru. Ils ont cru qu'ils créeraient un rapport de forces plus favorable pour eux s'ils tuaient quelques Israéliens de plus et si eux-mêmes mouraient en assez grand nombre pour émouvoir les pays occidentaux ou arabes. Cette tactique est en train de se retourner contre eux, au moins pour une raison : le moralisme en politique conduit à des simplifications. Et ceux des ministres européens qui ont visité Gaza ou la Cisjordanie en jetant l'anathème sur Israël sont bien contraints maintenant à dénoncer les attentats-suicides. Un moraliste, c'est un arithméticien des victimes. C'est ainsi qu'on entend ces jours-ci quelques commentateurs radiophoniques qui « constatent » que le nombre des morts israéliens commence à se rapprocher du nombre de décès chez les Palestiniens. Nous n'avons cessé de dénoncer cette mise à jour quotidienne des statistiques pour une raison simple : le camp des victimes sort toujours un peu grandi de sa propre douleur et cette évaluation funèbre des deux belligérants fausse complètement le raisonnement politique.
Au-delà des violences, d'où qu'elles viennent, il n'y pas d'autre espoir qu'un accord de compromis et de partage. Il ne suffira pas à enrayer les Kalachnikov et à éteindre la mèche du bâton de dynamite des fanatiques. L'idée a toujours été de créer une dynamique de la paix qui balaie le terrorisme. Non seulement on a perdu du temps et une occasion historique sans précédent l'année dernière, mais on a tout fait, depuis neuf mois, pour que les officines où se fomente la violence survivent à un cessez-le-feu et surtout à un accord politique.
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