LES DÉPASSEMENTS d'honoraires abusifs des médecins, réels ou supposés, ne quittent plus le devant de la scène médiatique. Et ce dossier complexe, qui recouvre des comportements délictueux condamnables, des entorses à la déontologie, mais aussi des pratiques parfaitement légales, échauffe les esprits en cette fin de campagne.
Après les deux affaires – certes très différentes – concernant la communauté chirurgicale, l'une à Chalon-sur-Saône où un chirurgien est soupçonné d'avoir réclamé un dessous-de-table de 5 000 euros, l'autre à Metz où une patiente accuse son médecin d'avoir essayé de lui «extorquer» 3 000 euros après une intervention (« le Quotidien » du 10 avril), c'est l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui a lancé un pavé dans la mare tarifaire avec un rapport-brûlot sur les dépassements d'honoraires , commandé par le gouvernement en 2006. Et dont des extraits ont surgi à une semaine du premier tour de la présidentielle.
Pratique contenue en médecine générale.
Selon ce document non finalisé et dévoilé par « le Point », les dépassements facturés par les médecins dans les secteurs public et privé ont atteint en 2005 un montant impressionnant de «près de 2milliards d'euros» (sur 19 milliards d'honoraires totaux). Cette croissance «non maîtrisée» des dépassements constitue, selon l'Igas, un «obstacle à l'accès aux soins». Si cette pratique reste «contenue» en médecine générale, le prérapport de l'Igas cite plusieurs exemples de dépassements moyens sur des actes ou des interventions de spécialistes, chiffres dont « le Quotidien » a eu confirmation (encadré). Ordeux tiers de ces dépassements restent à la charge des ménages, les complémentaires santé remboursant le dernier tiers. La tendance est même marquée par une limitation de la prise en charge des dépassements par les complémentaires, notamment dans les contrats collectifs qui offrent moins de garanties en « frais réels ». D'où le malaise créé par ces pratiques et le lien établi avec les difficultés d'accès aux soins, d'abord dans certaines zones (Paris, Lyon, Alsace, Paca), et sur le reste du territoire.
Le secteur II dans la ligne de mire.
Quoi qu'il en soit, les réactions aux informations de l'Igas se sont multipliées, prenant un tour politique. Ainsi le député socialiste Jean-Marie Le Guen a-t-il stigmatisé, à travers ces pratiques tarifaires, une «situation critique» qui «ne pourrait qu'empirer avec Nicolas Sarkozy», partisan de «la généralisation des dépassements». Au PS, on explique que, en cas de victoire de Ségolène Royal, il faudra trouver «un système d'encadrement des dépassements négocié».
Sans attendre le rapport définitif de l'Igas, le ministère de la Santé a promis une «table rondeavec l'assurance-maladie et les syndicats de médecins afin de remédier aux excès et aux abus . Cette réunion devrait se tenir dès la deuxième quinzaine d'avril. D'ici là, le ministère de la Santé rappelle qu'une circulaire de 2005 encadre l'activité libérale dans les établissements, qui ne doit pas dépasser 20 % de l'activité des praticiens. Début avril, le gouvernement avait exhorté les praticiens à respecter les principes du tact et de la mesure dans le secteur II et la transparence dans l'affichage des tarifs. Pas en reste, la Cnam a relancé son appel au «respect des tarifs conventionnels» pour les médecins de secteur I . Si la caisse reconnaît le droit au DE, en cas d'exigence particulière du patient de temps ou de lieu, elle réclame explicitement une « meilleure régulation des dépassements» ;ce qui signifie une réforme du secteur II actuel, sous la forme d'un plafonnement. Cette exigence constitue une pierre d'achoppement dans les négociations sur le secteur optionnel, renvoyées après les élections.
La Csmf : une manipulation.
La Mutualité française, qui fédère la quasi-totalité des mutuelles santé, a placé le dossier sur le terrain politique. Son président Jean-Pierre Davant demande aux candidats à l'Elysée de «prendre position» sur les dépassements afin de stopper l' «évolution malsaine du système de santé». Mais la Mutualité va plus loin en appelant de ses voeux une «remise à plat» du mode de rémunération à l'acte des médecins libéraux, objectif qui ne date pas d'hier. Pour le collectif interassociatif sur la santé (Ciss), qui s'interroge sur la «mort programmée» du secteur I, il est grand temps de refonder le «pacte social» avec le corps médical.
Dans la profession, le rapport de l'Igas soulève de vives réactions même si sa « lecture » est différente selon les organisations. Le syndicat de médecins généralistes MG-France accrédite la thèse d'une «généralisation du dépassement des honoraires» chez les spécialistes , dérive «largement favorisée» par la convention médicale de 2005. La Csmf en revanche dénonce le «procédé scandaleux [la diffusion d'extraits d'un prérapport] destiné à alimenter un faux débat politique sur le dos des médecins libéraux». Son président, Michel Chassang, y voit une «manipulation de nostalgiques de la gauche». Sur le fond, la Csmf oppose aux conclusions de l'Igas d'autres études ayant montré « la tendance à la baisse» des dépassements ces dernières années . Le syndicat insiste surtout sur la distinction entre la «pratique légale» des dépassements sous des modalités variées (secteur II où exercent 35 % des spécialistes, DE, DA...) et les faits délictueux «très rares» (dessous-de table, dépassements systématiques ou faramineux).
Reste l'appréciation du tact et de la mesure dans le secteur à honoraires libres. Pour l'Umespe, branche spécialiste de la Csmf, le non-respect des règles ne concerne qu'une «infime proportion» de praticiens. Même discours au SML, où 60 % des adhérents sont en secteur II. «On mélange tout, tonne le Dr Cabrera, président du syndicat. Je dénonce l'hypocrisie de ceux qui orchestrent un règlement de comptes avec les médecins alors qu'ils ont tout fait pour bloquer les négociations sur le secteur optionnel.»
L'émoi est fort, enfin, dans les milieux chirurgicaux. L'Union des chirurgiens de France (Ucdf) déplore un «climat détestable» où fleurissent les «amalgames»; le syndicat incrimine le «désengagement» de l'assurance-maladie de la chirurgie «non compensé par les complémentaires». Quant au Conseil national de la chirurgie (CNC), qui fera bientôt des propositions sur le mode de rémunération des chirurgiens, il demande au ministère de faire cesser « la campagne de dénigrement systématique» de cette spécialité. Mais la polémique n'a guère de chances de s'éteindre.
Des chiffres qui fâchent
Selon le rapport, le montant global des dépassements facturés dans le secteur II aurait doublé en moins de 15 ans hors inflation pour atteindre «1,578milliard d'euros» en 2005.
Cinquante deux pour cent des femmes qui ont accouché au second semestre 2005 ont acquitté un dépassement moyen de «74euros à l'hôpital» et de «178euros en clinique».
Soixante et onze pour cent des patients opérés de la cataracte ont payé un dépassement de «91euros à l'hôpital» et de «200euros en clinique».
Soixante-douze pour cent de ceux qui ont eu une prothèse totale de hanche ont réglé un dépassement de «225euros à l'hôpital» et de «454euros en clinique».
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