Femme âgée, homme jeune
Le cancer du canal anal est une tumeur distale du tube digestif qui se différencie des adénocarcinomes colo-rectaux (CCR) par sa relative rareté (3 à 4 % des CCR), et son histologie de type épidermoïde le reliant plutôt à la pathologie péri-orificielle.
Deux types de populations très différentes sont concernés : a) la femme âgée (septième décennie) qui présente une irritation locale chronique : fissure, fistule ou lésion hémorroïdaire préexistante et, plus rarement, une maladie de Crohn à localisation ano-rectale, une hidrosadénite suppurative ; b) l'homme jeune, dont les rapports sexuels sont ano-génitaux, favorisant des lésions traumatiques itératives locales et une transmission virale (herpès de type 2, papillomavirus
de type 16), avec ou sans lésion condylomateuse préalable, en particulier le sujet homosexuel séropositif VIH.
Locorégional
Le cancer du canal anal est une maladie à développement essentiellement locorégional. Les touchers pelviens et l'échographie endoanale permettent une classification TNM pronostique de la masse tumorale initiale par la détermination de l'extension locale de surface (marge anale, cloison recto-vaginale, rectum), de l'épaisseur tumorale en profondeur (atteinte du sphincter anal) : T1 < ou = 2 cm ; T2 de 2-5 cm ;
T3 > 5 cm ; T4, envahissement des organes adjacents (vagin) et des adénopathies périrectales (N1). L'extension ganglionnaire (N2) peut être superficielle en inguinal (10 % de cytologie positive), puis iliaque externe (scanner abdomino-pelvien) et/ou profonde en iliaque interne, puis lombo-aortique. L'évolution métastatique (M) est exceptionnelle (10 % des cas), en particulier hépatique, possiblement associée à une élévation du marqueur SCC.
L'époque de la chirurgie mutilante
Le cancer du canal anal est réputé de pronostic favorable car radiosensible et chimiosensible. Jusque dans les années 1970, le traitement de référence était une chirurgie mutilante de type amputation abdomino-périnéale, avec une survie globale à cinq ans de 48-71 % et de rechute locale de 27-40 %. Un traitement conservateur basé sur la radiothérapie exclusive, puis l'association radio-chimiothérapie a ensuite été établie, la chirurgie radicale étant réservée en rattrapage, en cas d'échec ou de complications graves.
Radiothérapie : quels patients ?
La radiothérapie (RT) du cancer du canal anal, tumeur en place, est un traitement de première intention, efficace et de tolérance acceptable.
Pour les petites tumeurs T1-T2 (< ou = 4 cm) No, c'est l'indication d'une radiothérapie exclusive de type curatif au niveau ano-rectal.
Pour les tumeurs volumineuses T3-T4 (> 4 cm) ou avec extension ganglionnaire, l'usage actuel est de délivrer une RT pelvi-périnéale et inguinale avec une chimiothérapie (CT) concomitante. Cette chimiothérapie, destinée à potentialiser l'effet de la RT pour augmenter le contrôle local, est délivrée de façon mensuelle et associe actuellement plutôt 5-fluoro-uracile (5Fu)-cisplatine que
5Fu-mitomycine C.
Quel type d'irradiation ?
La RT a été longtemps délivrée en deux séries d'irradiation séparées par une période de repos de quatre à huit semaines pour apprécier la réponse tumorale. Cependant, le contrôle tumoral serait meilleur avec un repos plus court, de l'ordre de dix à quinze jours.
Le volume irradié pelvi-périnéal initial concerne dans tous les cas la tumeur anale et le premier relais ganglionnaire de drainage iliaque interne. Dans les tumeurs évoluées, le volume irradié inclut les aires ganglionnaires iliaques externes ± primitives et concerne aussi les aires ganglionnaires inguinales bilatérales. Le complément d'irradiation limité au volume anal est effectué soit en irradiation externe (par un faisceau périnéal direct d'électrons ou par des Rx de haute énergie par quatre faisceaux réduits en situation recto-canalaire), soit en curiethérapie interstitielle pour de petites lésions.
La dose totale délivrée est de 45 Gy/cinq semaines en prophylactique sur la maladie microscopique péritumorale et de 65 Gy sur la maladie en place.
Le fractionnement est classique, de 1,8-2 Gy/jour,
cinq jours sur sept, 9-10 Gy par semaine, délivré avec un accélérateur linéaire de particule de haute énergie (10-25 MV), en général par quatre faisceaux quotidiens en antérieur, postérieur et latéraux en boîte.
La dosimétrie est simple, mais tient compte des coupes tomodensitométriques après repérage des organes critiques et de la masse tumorale (dosimétrie conformationnelle).
Les effets secondaires en cours d'irradiation
Comme toujours, la radiothérapie n'agit que là où elle est réalisée, et, ici, le volume concerné est essentiellement pelvi-périnéal. Des troubles ano-rectaux et vésicaux apparaissent dès la deuxième ou troisième semaine d'irradiation, et disparaissent en deux à quatre semaines après la fin de la RT.
La toxicité digestive directe est modérée mais régulière, de type nausées et surtout diarrhées. Des antidiarrhéiques sont alors utiles associant, selon la gravité, pansement digestif (Smecta), antisécrétoire (Tiorfan), ralentisseur du transit (Imodium).
Parallèlement, une toxicité cutanéo-muqueuse périnéale en zone irradiée est observée, de type érythème, voire radio-épithélite exsudative, ou, plus rarement, une simple hyperpigmentation avec dépilation. Le traitement symptomatique associe une crème hydratante (Biafine) alternée avec une crème ou lotion anti-inflammatoire (Diprosone) en cas de radioépithélite sèche. En cas de lésion humide, éosine, bains de siège et antalgiques, voire une cure brève d'antifungique (Triflucan 50), anti-inflammatoire (Cortancyl 20) sont nécessaires.
La toxicité urinaire est urétrale et vésicale, de type pollakiurie et brûlures, et peut nécessiter la prescription brève (entre deux et quatre semaines) d'antibiotiques et ad'nti-inflammatoires oraux.
Quel contrôle tumoral ?
La surveillance après traitement est essentiellement clinique (TR et TV) et échoendoscopique, mais peut être malaisée. Une hésitation diagnostique entre récidive et nécrose traînante peut survenir et nécessiter une biopsie en l'absence de cicatrisation, malgré un traitement « désinfiltrant » associant antibiotique (Augmentin), anti-inflammatoire (Cortancyl 20) et antifungique (Triflucan 50) pendant deux à quatre semaines.
Dans les tumeurs de petite taille - T1-T2 », la RT permet un taux de contrôle local de 70 à 90 % et un taux de survie de 70 à 85 % à cinq ans, avec le bénéfice de la conservation sphinctérienne dont le fonctionnement est le plus souvent respecté. Dans 80 % des cas, les récidives locales (réapparition d'une tuméfaction à l'emplacement d'une lésion apparemment disparue) surviennent dans les deux ans après la RT et imposent une chirurgie de rattrapage.
Dans les tumeurs localement évoluées T3-T4, la radio-chimiothérapie a démontré sa supériorité par rapport à la RT seule en termes de réponse objective en fin de traitement (80 % versus 54 %), de contrôle local (68 % versus 52 % à cinq ans), de survie sans maladie (59-72 % versus 43-61 %) et de survie sans colostomie. Une non-réponse (absence de réponse ou une réponse insuffisante) après 45 Gy (au décours du premier temps de la RT) évoque un échec du traitement conservateur et fait discuter une chirurgie radicale en cours de traitement.
L'envahissement ganglionnaire inguinal est de pronostic très défavorable.
Complications tardives après ce type d'irradiation
Les complications radio-induites sont souvent associées chez un même patient ou se succèdent dans le temps.
Des lésions trophiques ano-rectales importantes de grade III-IV peuvent exister dans 3 à 14 % des cas, après notamment traitement de tumeurs localement évoluées avec atteinte sphinctérienne ou muqueuse irréversible, dans un délai médian de douze mois après la fin de la RT. Leur caractère douloureux plus ou moins permanent et la sclérose avec incontinence (destruction du sphincter), la rectite hémorragique, la fistule recto-vaginale, la radionécrose (en particulier après curiethérapie) ou la sténose anale importante peuvent conduire à une colostomie et, parfois, à une amputation abdomino-périnéale.
D'exceptionnelles lésions osseuses du bassin (col fémoral, pubis), de grêle radique ou de sténose urétrale ont été rapportées, en particulier pour des doses élevées et/ou des volumes de RT importants.
Actuellement, la majorité des patients atteints de cancer du canal anal limité sont à ce jour contrôlés. Les rares cas de rechute bénéficient d'un rattrapage efficace, quoique radical. La radio-chimiothérapie concomitante est un standard des tumeurs localement évoluées. Cependant, les modalités optimales de ce traitement sont en cours de discussion (dose et volume optimaux, durée de la pause après le premier temps d'irradiation...) afin de réduire les échecs tumoraux, comme les complications sévères du traitement.
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