Par le Pr PHILIP GORWOOD*
DEUX CONSTATS sont d'ores et déjà à faire. Tout d'abord, nous n'avons pas encore de réponse définitive à ces questions. Il faut, en effet, se garder de toute conclusion hâtive, la preuve irrévocable que tel ou tel mécanisme des antidépresseurs explique son effet est particulièrement difficile à établir pour une pathologie essentiellement humaine, polyfactorielle et complexe.
Ensuite, les explications d'hier (« il faut relancer la transmission sérotoninergique ») étaient bien peu satisfaisantes. De fait, l'action essentielle des antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) consiste à bloquer le transporteur de la sérotonine, ce qui empêche sa capture (récupération « écologique » de l'organisme), et donc augmente la concentration de sérotonine libre dans la fente synaptique, plus à même de stimuler les récepteurs postsynaptiques. Mais cette activité (claire et démontrée) augmente la sérotonine en quelques minutes, ce qui laisse la place à beaucoup d'inconnues entre la première prise du traitement et l'apparition des effets cliniques, en général deux semaines plus tard.
C'est justement ce délai de deux semaines qui a orienté les recherches vers des mécanismes différents, qui apparaîtraient en cascade et, donc, de manière différée, après une stimulation sérotoninergique… ou d'un autre type.
La neuroplasticité est venue répondre à ces critères, avec quelques éléments qui la rendent particulièrement intéressante comme potentielle voie commune de l'effet de l'ensemble des antidépresseurs. On peut proposer cinq types d'arguments en faveur du rôle de la neuroplasticité comme mécanisme d'action des antidépresseurs. Les données anatomiques, tout d'abord, cellulaires, physiologiques, génétiques, cliniques et enfin thérapeutiques sont toutes venues appuyer la vraisemblance de ce mécanisme d'action.
Les arguments anatomiques reposent sur l'importance des structures cérébrales potentiellement en cause dans la dépression. On sait maintenant que l'hippocampe est hypotrophié chez les sujets déprimés (par rapport à des sujets contrôles). Cette atrophie est nettement moins forte que dans la maladie d'Alzheimer (et ne peut donc servir au diagnostic individuel), mais est d'autant plus importante que le sujet a été longtemps déprimé au cours de sa vie (1). De manière intéressante, si le temps passé déprimé est limité au temps de dépression avec traitement, alors, la corrélation disparaît. Néanmoins, la dépression n'est pas une pathologie de l'hippocampe, mais plutôt un découplage entre la région sous-corticale, qui comprend le complexe amygdalo-hippocampique, et ses afférences corticales, dont les cortex préfrontaux et cingulaires. Relancer la neuroplasticité hippocampique pourrait permettre de rétablir des connexions plus appropriées.
Les données cellulaires en faveur du rôle de la neuroplasticité dans la dépression découlent directement de l'observation précédente. En effet, on a pu montrer, à partir de modèles animaux du stress et de la dépression chez l'homme, que certains antidépresseurs avaient la compétence non seulement de relancer la neuroplasticité, mais aussi d'induire une neurogenèse (que l'on a cru longtemps l'apanage de la vie foetale) dans une partie de l'hippocampe (gyrus dentelé). La formation de nouveaux neurones dans cette région permettrait de lutter contre l'atrophie de l'hippocampe notée chez les sujets déprimés. Cette activité requiert quant à elle des durées bien plus compatibles avec le temps de latence avant d'obtenir les effets cliniques des antidépresseurs.
Sur le plan physiologique, il est difficile de limiter l'amélioration de la dépression aux molécules antidépressives, quand on connaît l'importance des psychothérapies associées, de type cognitivo-comportemental, par exemple, ou des approches associées non pharmacologiques. Il a notamment été montré que l'activité sportive modérée et progressive avait une activité antidépressive chez les personnes âgées. Or l'activité physique et sportive a aussi la capacité de stimuler la neurogenèse…
Les troubles de l'humeur sont des pathologies complexes et polyfactorielles, pour lesquelles une vulnérabilité génétique existe. Toute explication des mécanismes impliqués dans la dépression doit donc rendre compte de l'importance des facteurs génétiques. De fait, plusieurs gènes ont été impliqués dans la dépression et la réponse aux antidépresseurs, dont le BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), protéine qui, comme son nom l'indique, est un facteur neurotrophique stimulant neuroplasticité et neurogenèse.
Au niveau clinique, il est difficile de percevoir l'efficacité antidépressive comme étant liée à une relance aspécifique de la neuroplasticité, étant donné que les antidépresseurs ont aussi une activité anxiolytique et que l'amygdale serait plutôt hypertrophiée en cas de trouble anxieux. Sur des modèles animaux, des études ont néanmoins montré que certains antidépresseurs avaient la particularité de prévenir l'hypertrophie amygdalienne secondaire à un stress majeur (2). La neuroplasticité serait donc plus régulée dans des régions précises, plutôt que relancée de manière anarchique.
Enfin, sur le plan thérapeutique, les troubles de l'humeur les plus sévères et typiques sont ceux du spectre du trouble bipolaire (ancienne maladie maniaco-dépressive), pathologie plus souvent traitée par des régulateurs de l'humeur (thymorégulateurs) que par des antidépresseurs. Il est alors intéressant de savoir que le lithium, chef de file des thymorégulateurs, possède aussi la capacité de relancer la neuroplasticité.
* INSERM U675, faculté Xavier-Bichat (IFR02), Paris. (1) Sheline YI, Gado MH, Kraemer HC. Untreated depression and hippocampal volume loss. Am J Psychiatry 2003 Aug; 160(8): 1516-8.
(2) McEwen BS, Chattarji S. Molecular mechanisms of neuroplasticity and pharmacological implications: the example of tianeptine. Eur Neuropsychopharmacol 2004 Dec; 14 Suppl 5: S497-502.
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