DE NOTRE CORRESPONDANTE
«CE TRAVAIL pourrait déboucher sur le premier test diagnostique permettant de guider le traitement de la dépression», déclare au « Quotidien » le Dr Francis Lee, de l’université Cornell à New York, qui a codirigé cette étude avec le Dr Zhe-yu Chen (université Cornell et université Shandong en Chine). «Le test consisterait à prélever l’ADN du patient et à rechercher un variant du gène codant pour le facteur neurotrophique BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor). Si le patient possède le variant, alors il est peu probable qu’il réponde au traitement par la classe d’antidépresseurs la plus utilisée, à savoir la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) », ajoute le Dr Lee.
«A notre connaissance, c’est la première fois que les effets d’un variant génétique humain sur la fonction cérébrale sont modelés chez une souris. Ce modèle animal permettra à l’avenir d’évaluer rapidement de nouvelles classes d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. »
On sait que des facteurs génétiques prédisposent à l’anxiété et à la dépression, mais les gènes en cause sont inconnus.
Le gène BDNF code pour un facteur neurotrophique.
Un candidat pour un gène de prédisposition est le gène BDNF (Brain Derived Neurotrophic Factor), codant pour un facteur neurotrophique, car il joue un rôle dans la survie et la différenciation neuronale, ainsi que dans la plasticité synaptique.
La découverte récente d’un variant du gène BDNF (Val66Met) a fourni un outil précieux pour évaluer les contributions potentielles de BDNF dans les troubles affectifs.
Cet allèle variant Met est fréquent puisqu’il est porté par 20 à 30 % de la population caucasienne.
On sait que les personnes hétérozygotes pour cet allèle Met ont un hippocampe (région cérébrale de la mémoire) plus petit et ont de moins bonnes performances dans certaines épreuves de mémoire, mais on ignore si cet allèle prédispose à des troubles cliniques.
Chen et coll. ont créé des souris transgéniques portant l’allèle Met de façon homozygote et hétérozygote (BDNF Met/Met et BDNF + /Met).
Les deux types de souris transgéniques Met reproduisent le phénotype humain observé, à savoir : 1) une diminution du volume hippocampique (de 13 à 14 %) ; 2) un déficit de la mémoire dépendante de l’hippocampe (mémoire contextuelle), proportionnel au nombre d’allèles Met.
L’allèle BDNF Met est exprimé dans le cerveau à un taux normal, mais sa sécrétion (ou libération) par les neurones est défectueuse.
Les chercheurs ont ensuite évalué le comportement anxieux de ces souris dans deux tests, les soumettant à une situation stressante de conflit. Les deux tests révèlent que les souris homozygotes ont un comportement anxieux accru, alors que les souris hétérozygotes ne sont pas plus anxieuses que la normale.
«Un variant BDNF pourrait donc jouer un rôle clé dans la prédisposition génétique au trouble d’anxiété et à la dépression», concluent les chercheurs.
Comme ils le remarquent, cette étude chez la souris a permis de discerner une anxiété accrue chez les porteurs homozygotes de l’allèle, ce qui n’avait pas été distingué dans les études humaines, d’une part, parce qu’elles reposaient sur des questionnaires d’anxiété et, d’autre part, parce qu’elles se concentraient sur des sujets hétérozygotes.
L’anxiété chez les souris.
Dernière observation de l’étude, l’anxiété chez les souris Met homozygotes ne répond pas au traitement par un antidépresseur ISRS courant (fluoxétine).
«Cela suggère que les humains porteurs de cet allèle pourraient ne pas avoir une réponse optimale à cette classe d’antidépresseurs», notent les chercheurs.
La présence du variant BDNF pourrait donc contribuer à l’absence de réponse à l’ISRS qui est observée dans une proportion non négligeable de patients déprimés.
Les ISRS agissent en augmentant la quantité de sérotonine disponible pour le neurone. Le signal sérotonine a de nombreuses fonctions, mais on soupçonne qu’un de ses effets majeurs est d’augmenter les taux de facteur de croissance comme le BDNF, ce qui soulage l’anxiété et la dépression. Chez un patient porteur du variant BDNF et traité par ISRS, les neurones seront exposés à davantage de sérotonine, mais ils seront incapables de sécréter davantage de BDNF et ne répondront donc pas au traitement.
Ces résultats indiquent une nouvelle direction pour développer des stratégies thérapeutiques pour soulager l’anxiété des personnes portant le variant BDNF : des stratégies «visant à augmenter la libération du BDNF à partir des synapses ou à prolonger la demi-vie du BDNF sécrété».
La souris transgénique BDNF Met/Met pourrait servir de modèle précieux pour identifier de nouvelles approches et traiter les troubles de l’anxiété.
« Science », 6 octobre 2006, p. 140, Chen et coll.
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