LE PROJET DE LOI de charte de l'environnement est prêt depuis juin 2003 : il a été adopté par le conseil des ministres après une consultation nationale dont la synthèse a été réalisée par une commission présidée par Yves Coppens. Voulu par Jacques Chirac, il inscrit dans la Constitution française de nouveaux droits et devoirs du citoyen vis-à-vis de son environnement. Mais pour cela, il faut qu'il soit voté par les deux tiers des parlementaires réunis en congrès.
Or le projet est loin de faire l'unanimité, y compris parmi les scientifiques et les députés de la majorité. La discussion du texte, prévue une première fois à l'automne, a été reportée par deux fois. Le débat à l'Assemblée (le 14 avril en commission et le 28 en première lecture) a été déprogrammé et ne figure pas au programme des députés, établi jusqu'au 13 mai.
« Le texte pose des difficultés », reconnaît-on prudemment au ministère des Relations avec le Parlement. La première, et non des moindres, est qu'il ne plaît pas au Medef. Le corps du délit est l'article 5 de la charte, qui définit le principe de précaution : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent (...) à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées (...) ainsi qu'à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques encourus. » C'est une notion « dangereuse », qui peut « conduire à ne plus lancer d'entreprise d'innovation en France », estime Ernest-Antoine Seillière, le président du Medef. Et le Medef a répété ses réserves mardi lors d'un petit déjeuner de presse : Jean-Pierre Rodier, président du comité environnement du patronat français, a qualifié de « flous » l'article 1 (le droit de chacun à « vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé ») et l'article 5. Le texte devrait, selon lui, être amendé pour retenir dans l'article 1 le seul « droit à un environnement sain » et pour renvoyer dans l'article 5 à une loi qui définirait les cas où le principe de précaution peut être appliqué et les procédures à suivre.
Faire preuve de courage.
La rapporteure du projet, Nathalie Kosciusko-Morizet, défend pour sa part « un article qui offre un surcroît de sécurité, car il définit mieux la précaution ». Les écologistes (Greenpeace, le WWF, Corinne Lepage) jugent que le texte est déjà très édulcoré et estiment qu'une charte sans principe de précaution constituerait une « régression par rapport aux principes généraux qui gouvernent aujourd'hui notre droit ». La Fédération France Nature Environnement et l'UFC-Que Choisir ont de leur côté, lors d'une conférence de presse en compagnie de scientifiques, dénoncé « les reports incessants du projet » et appelé « parlementaires et gouvernement à faire preuve de courage ».
Si des scientifiques soutiennent le projet - une pétition a recueilli 200 signatures, dont celle de Gérard Mégie, directeur du Cnrs - d'autres y sont très hostiles. Les académies des sciences et de médecine, en avril 2003 (« le Quotidien » du 1er) se sont déclarées opposées à l'inscription dans la Constitution du principe de précaution, car cela pourrait « induire des effets pervers, susceptibles d'avoir des conséquences désastreuses sur les progrès futurs de notre bien-être, de notre santé et de notre environnement ».
Au nom de la santé et de l'environnement, on peut ainsi défendre le texte ou s'y opposer. Pour les députés, la cause est peut-être entendue avant tout débat : s'il était inscrit dans la Constitution, le principe de précaution serait d'application directe (un simple citoyen pourra, par exemple, faire un procès à l'autorité publique pour avoir autorisé tel ou tel pesticide jugé à risque) et pourrait donc à tout moment se retourner contre eux.
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