L’IDÉAL, pour traiter au mieux un risque d’épidémie, serait d’en parler le moins possible pour éviter d’affoler la population. Cet idéal a un inconvénient, à savoir qu’il ne permet pas d’associer les citoyens aux mesures d’hygiène et de prévention indispensables pour écarter le danger. L’autre inconvénient, c’est que le secret est toujours mal vu : dans un domaine où les compétences scientifiques ne sauraient être également partagées entre soixante millions de Français, il faut envoyer un message compréhensible pour tous et en même temps exact. Ce n’est pas facile. Enfin, troisième inconvénient du silence : il laissera toujours croire que le gouvernement a quelque chose à cacher ou qu’il ne fait rien.
Encore sous le coup du désastre provoqué par la canicule d’août 2003, le gouvernement s’emploie quotidiennement à montrer : qu’il s’occupe avec beaucoup de minutie de l’épidémie et qu’il prend courageusement la responsabilité de tout ce qui pourrait se produire, depuis la chute des ventes de volailles jusqu’à un franchissement par le virus H5N1 de la barrière de l’espèce ; qu’il fait une transparence absolue sur les informations, de sorte qu’il ne se passe de quart d’heure à la radio sans que soit annoncée une nouvelle localisation du virus dans une nouvelle contrée, avec un suspense à perdre le souffle quand un canard est tué chez nous par le virus ; qu’il s’efforce néanmoins de rassurer la population.
Les citoyens sont déboussolés.
Or ce message à plusieurs composantes est contradictoire. Si le virus n’en est pas à tuer des êtres humains, l’agitation du gouvernement est excessive ; si elle ne l’est pas, c’est parce que le virus risque – sait-on jamais ? – d’être transmis à l’homme.
De la même manière, quand diverses réunions interministérielles (Dominique de Villepin en a présidé au moins une) se penchent sur la progression du virus vers l’Europe, puis vers la France, quand le confinement des volailles françaises est décidé, quand le gouvernement annonce à plusieurs reprises que si la contamination se répand dans nos poulaillers, il fera abattre tous les volatiles dans le périmètre de contamination, le citoyen est en droit de penser qu’il se passe quelque chose d’assez grave.
C’est alors que le ministre de l’Agriculture, Dominique Bussereau, après avoir dressé un sombre tableau de la crise, engage ses concitoyens à manger du poulet. Dans une époque où l’irrationnel abonde, on ne peut pas accuser le ministre de manquer de logique. Il n’empêche que le principe de précaution est si bien ancré dans les moeurs que, bien entendu, le premier réflexe collectif, c’est de manger autre chose. Le résultat est que, en dépit des assurances de M. Bussereau, l’industrie de la volaille est en train de s’effondrer et, comme on va trouver de plus en plus de canards et de cygnes morts dans les étangs, on est à peu près sûr que le marché de la volaille ne va pas se redresser avant plusieurs mois ou plusieurs années.
UNE CONTRADICTION ENTRE L'INQUIETUDE DU GOUVERNEMENT ET LA PROTECTION DE LA FLILIERE
Prévenir sans épouvanter.
L’ESB, naguère, a entraîné des ravages identiques dans la filière de la viande bovine. Donc, ce qui se passe avec la grippe aviaire n’étonne personne. C’est le métier de gouverner qui souffre énormément des aléas épidémiques. D’abord un maximum de vigilance n’empêche pas un désastre : à la Réunion, le chikungunya a fait cent mille malades et peut-être des morts avant que le gouvernement n’ait pu réagir. Preuve que l’on peut faire une obsession du principe de précaution sans être automatiquement efficace. Ensuite, comment concilier les éléments inconciliables d’une crise ? Comment prévenir le peuple sans l’épouvanter ? Comment combattre les risques sans tuer le commerce ? Et, enfin, comment le gouvernement peut-il montrer qu’il vénère la santé publique, même s’il est forcément incapable d’arrêter le virus à la frontière ?
Loin de nous entraîner dans une réflexion approfondie sur la difficulté de gouverner, la grippe aviaire est en train de prouver quelques notions sûres :
– il y a une limite à ce que la société la plus sophistiquée peut faire pour se protéger ; le principe de précaution ne doit pas devenir une cause de paralysie sociale ;
– nos dirigeants sont poliment priés d’oublier la canicule de 2003. L’histoire, y compris celle de la santé publique, ne se répète pas forcément ; et même si nous devions subir une épidémie de grippe aviaire (dont le danger est fort lointain), nous sommes mieux préparés que pour la canicule (stocks de Tamiflu, mesures d’hygiène qui deviendront vite obligatoires et mesures de prévention, notamment pour éviter les contacts). Le gouvernement, en tout cas, ne doit pas forcer le trait aujourd’hui pour compenser sa distraction en août 2003 ;
– il faut dire aux gens : mangez du poulet. Vous cesserez d’en manger quand nous penserons qu’il y a un danger. Nous vous informerons.
La transparence ne consiste pas à multiplier les messages, mais à dire la vérité en toutes circonstances. Il est peut-être temps pour le gouvernement d’abandonner la scène médiatique et de se consacrer exclusivement à la prévention.
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