On sait que chaque génération est plus grande que la précédente. Mais les hommes grandissent plus vite que les femmes : la différence de taille est passée de 9,7 cm en 1970 à 12,2 cm en 2001. Cette année-là, les hommes mesuraient en moyenne 1,741 m et les femmes, 1,619 m.
Or, les sociologues avaient déjà constaté, notamment en se penchant il y a deux décennies sur les célèbres annonces matrimoniales du « Chasseur français », que la taille de l'homme était un facteur non négligeable pour les femmes à la recherche d'un conjoint. Aujourd'hui, la petite taille est toujours un désavantage, même s'il peut être compensé : la mise en couple est plus précoce pour les grands (47 % des 20-29 ans qui mesurent plus de 1,80 m sont en couple, contre seulement 41 % de ceux qui mesurent de 1,70 à 1,80 m). Le retard des hommes de taille moyenne est rattrapé dès la tranche d'âge suivante (30-39 ans) mais pas celui des moins de 1,70 m (60 % vivent en couple, contre les trois quarts des moyens et des grands).
Une qualification implicite
On pourrait penser que le milieu social joue un rôle, puisque l'écart de taille reste net entre cadres supérieurs-professions libérales (1,776 m) et ouvriers-exploitants agricoles (1,744 m). Mais, dans tous les milieux, les petits sont moins nombreux à vivre en couple que les grands. Nicolas Herpin rejette de même d'autres hypothèses péjoratives pour les petits : non, ils ne sont pas moins travailleurs ; non, ils ne se sentent pas plus nerveux ou anxieux dans leurs activités professionnelles ; non, ils n'ont pas plus de difficultés à trouver du travail. Et pourtant, ils ont de moins belles carrières que les grands.
C'est qu'en fait la haute taille est « une qualification implicite », elle est perçue comme une aptitude à commander et favorise l'avancement, hors des recrutements par concours. Les grands représentent plus souvent l'entreprise à l'extérieur, sont plus souvent en contact personnel avec la hiérarchie ; et même quand ils sont sans diplôme, ils réussissent mieux que les moyens et les petits.
Mais l'éventualité de la réussite professionnelle est loin d'être le seul critère pour faire un bon parti. Or, sur le plan des habitudes de vie, par exemple, les petits ne déméritent pas : ils ne mangent pas plus mal, ne sont pas plus souvent obèses, ne boivent pas davantage et fumeraient même moins de cigarettes. Ils ne se plaignent pas plus de leur niveau de vie et ne se montrent pas plus téméraires avec leur argent (ils ne sont pas plus souvent à découvert que les moyens ou les grands).
La petite taille apparaît donc comme un handicap en soi. Parce que la norme sociale reste au couple « physiquement bien assorti », dans lequel l'homme est plus grand que la femme (en moyenne de 12 cm). C'est le cas pour trois quarts des hommes de taille moyenne. Les grands sont souvent beaucoup plus grands que leur compagne (21 cm au moins), tandis que 15 % des petits sont plus petits que leur conjointe.
Pour séduire, déduit le sociologue, les petits doivent « offrir des compensations ». C'est essentiellement l'âge : ils ont acquis de la maturité (ce qui explique la mise en couple plus tardive) et l'idée selon laquelle les hommes beaucoup plus âgés présentent de meilleures garanties pour former un couple stable à la vie dure. Certains ont commencé à travailler tard, ce qui leur a permis de « consacrer leur jeunesse » à multiplier les occasions de rencontre.
Pour finir, l'auteur de l'étude examine une hypothèse peu réconfortante pour les petits. La taille serait l'un des indicateurs de la beauté masculine, critère qui aurait plus d'importance aujourd'hui que la réussite professionnelle pour des femmes diplômées et bien insérées sur le marché de l'emploi. Et Nicolas Herpin de conclure, à ses risques et périls : « A l'avenir plus que par le passé, les hommes de petite taille risquent d'être l'objet d'une discrimination conjugale pour leur stature. A moins que le couple ne se sente plus tenu socialement à être physiquement assorti. »
* « Economie et statistique », n° 361, 2003.
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