«LA PESTE doit être prise au sérieux bien plus qu'elle ne semble l'être actuellement.» C'est l'une des conclusions des experts qui se sont récemment penchés sur la menace que fait toujours peser Yersinia pestis dans beaucoup de régions du monde lors de trois réunions internationales. Les spécialistes de l'Académie des sciences et des lettres d'Oslo (Norvège), ceux du centre Wellcome Trust for the History of Medicine (Collège universitaire de Londres) et les experts réunis par l'Organisation mondiale de la santé à Antananarivo (Madagascar) soulignent tous que loin d'avoir été éradiqué et d'être relégué aux oubliettes de l'histoire, le bacille pesteux continue de causer plusieurs milliers de cas humains chaque année. Qui plus est, le changement de climat pourrait augmenter le risque d'épidémies dans les zones endémiques et de nouvelles zones d'endémie pourraient apparaître.
Relayant les conclusions des experts, un article du journal en ligne « PLOS medicine » fait le point sur l'infection à Y.pestis, qui, depuis sa réapparition dans plusieurs pays au cours des années 1990, est considérée comme une maladie réémergente. L'Afrique est particulièrement exposée avec un nombre de cas et un nombre de pays touchés en augmentation durant les dernières décennies. Durant les vingt dernières années, de 1 000 à 5 000 cas humains et de 100 à 200 décès ont été rapportés à l'OMS chaque année. Compte tenu des faibles capacités diagnostiques des pays, d'une part, et d'une sous-déclaration, d'autre part, le nombre de cas annuels est sans doute sous-estimé. Au fil des ans, les cas se sont déplacés de l'Asie vers l'Afrique : 90 % d'entre eux sont survenus à Madagascar, en Tanzanie, au Mozambique, au Malawi, en Ouganda et en République démocratique du Congo (RDC). Dans la majorité des cas, il s'agit de peste bubonique contractée par contact avec des rongeurs et des puces infectées. Cependant, des épidémies de peste pulmonaire, forme la plus grave et la plus contagieuse de la maladie, surviennent encore – 200 cas suspects ont été rapportés lors de la dernière épidémie survenue en RDC entre mai et juillet 2006. Avec l'Asie, l'Afrique est donc en première ligne, mais d'autres pays sont menacés. «Bien que le nombre de cas de peste humaine soit relativement faible, ce serait une erreur de négliger sa menace sur l'humanité», insistent Lila Rahalison (Laboratoire central de la peste, institut Pasteur de Madagascar) et coll. En effet, l'infection est endémique chez de nombreuses espèces de rongeurs sauvages vivant dans des habitats naturels très différents. Le rôle des rats commensaux comme hôtes intermédiaires a très tôt été mis en évidence. Mais de nombreuses autres voies de transmission de l'animal à l'homme sont aujourd'hui documentées. Dans le sud-ouest des Etats-Unis, la peste humaine peut être contractée par piqûre de puces d'espèces de rongeurs sauvages (écureuils) ; en Tanzanie, ce sont des rongeurs commensaux, se déplaçant librement entre les villages et les habitats forestiers, qui transmettent le bacille. La consommation d'animaux infectés comme des cobayes au Pérou et en Equateur ou des chameaux contaminés par des puces de rongeurs en Asie centrale et au Moyen-Orient peut être à l'origine d'une transmission à l'homme, tout comme la manipulation d'animaux domestiques infectés (chats) comme cela a été décrit aux Etats-Unis et en Afrique.
Résistance aux antibiotiques.
«La peste ne peut être éradiquée du fait de sa large diffusion parmi les rongeurs», expliquent les auteurs. Ce d'autant que la probabilité d'une épizootie parmi ces rongeurs, notamment aux Etats-Unis et en Asie centrale, et le risque résultant pour la population humaine, sont liés au climat. Une analyse récente réalisée au Kazakhstan a montré que des printemps plus chauds et des été plus humides augmentaient la prévalence de la peste chez son hôte principal, la grande gerbille.
L'extraordinaire adaptabilité de Y.pestis, qui a su constituer des foyers permanents dans des conditions écologiques très variées invite à une extrême prudence. De même que sa capacité à acquérir des plasmides de résistance aux antibiotiques dans des conditions naturelles doit faire craindre l'émergence et l'expansion de souches multirésistantes.
Les auteurs insistent sur le besoin d'études scientifiques approfondies sur la dynamique de l'infection, sa transmission, sur la prise en charge des épidémies et les systèmes de surveillance de suivi. La crainte d'un bioterrorisme à petite échelle ne doit pas conduire à étouffer la recherche sur l'écologie, l'épidémiologie ou la physiopathologie de la peste. De telles études sont d'autant plus nécessaires que l'approche habituelle de gestion des épidémies a montré ses limites. Selon les auteurs, les épidémies sont habituellement contrôlées comme on traite des incendies : des équipes pénètrent la zone infectée pour éliminer les puces (insecticides) et traiter et prévenir les cas humains. Mais ces mesures sont prises au moment où l'épidémie est sur le déclin. «Des décisions documentées et préparées avant que les épidémies ne surviennent seraient certainement plus viables et financièrementbénéfiques.»
Au moins trois pandémies
– La peste a été à l'origine d'au moins trois pandémies majeures. La première, la « peste de Justinien », a touché le pourtour méditerranéen au VIe siècle. La deuxième, la célèbre « peste noire », a émergé en Europe au XIVe siècle et s'est manifestée de façon récurrente durant plus de 300 ans. La troisième est apparue en Asie centrale au milieu du XIXe siècle et a essaimé dans le monde entier.
– Chacune de ces pandémies aurait été causée par un biovar différent de Yersinia pestis, respectivement Antiqua (encore présent en Afrique et en Asie centrale), Medievalis (aujourd'hui limité à l'Asie centrale) et Orientalis (quasiment présent dans le monde entier).
– Le rôle de Y.pestis comme agent causal de la deuxième pandémie a été contesté, mais la découverte de matériel génétique du bacille chez des victimes de la peste noire inhumées dans des tombes médiévales semblent confirmer l'hypothèse.
Presque toujours fatale
«La peste ne peut sans doute pas rivaliser avec les grands fléaux infectieux que sont le paludisme, le sida et la tuberculose en termes de nombre de cas, mais elle les dépasse de loin en termes de pathogénicité et de rapidité de diffusion.»
Le bacille pesteux est à l'origine d'une infection sérieuse et d'évolution rapide, létale dans sa forme bubonique dans 40 à 70 % des cas en l'absence d'un traitement précoce.
La peste pulmonaire et la peste septicémique sont quasiment toujours fatales en l'absence de traitement.
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