LES FRANçAIS LES PLUS FURIEUX de la victoire de M. Bush peuvent donner la main à près de la moitié du peuple américain. Qu'ils se rassurent : le pire n'est jamais sûr. Mais il faut aussi comprendre que, plutôt de faire une campagne inutile contre le président des Etats-Unis, plutôt que d'exiger, puis de rêver, qu'il change, ils devraient se demander si l'effort ne peut pas venir aussi de la France. Certes, M. Bush est arrogant, mais M. Chirac ne l'a pas moins été quand il a livré sur le front diplomatique une attaque contre l'Amérique qui ressemblait à celle que livre un ennemi, pas un ami. L'inquiétude des Français vient donc de ce qu'ils découvrent que le mandat de M. Bush n'est pas une parenthèse bientôt refermée mais qu'il se poursuivra pendant quatre ans encore. Et que sa longévité politique oblige les autres à s'adapter, non l'inverse. Peut-être ne fallait-il pas « insulter l'avenir » en 2003.
Un article de M. Barnier.
C'est pourquoi, l'article que notre ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, que vient de publier le « Wall Street Journal » nous semble pathétique : il demande aux Américains, bien sûr dans un esprit de coopération, de comprendre que les Français sont leurs amis . Son « geste » en direction de Washington serait infiniment plus convaincant si le Département d'Etat pouvait nourrir l'espoir que, à court terme, la France, ses diplomates et ses médias cessaient de pratiquer l'antiaméricanisme dès leur petit déjeuner.
Le fait que M. Barnier ait cru bon de s'exprimer au lendemain de la réélection de M. Bush suffit à éclairer la crise des relations franco-américaines. Au moins au niveau des apparences et du formalisme diplomatique, il n'y a pas de raison que le Quai d'Orsay redoute M. Bush plus que M. Kerry. En s'adressant aux lecteurs d'un journal américain, notre ministre semble reconnaître ses craintes, et ajoute donc sa touche au tableau d'un Bush dangereux.
On peut d'ailleurs nourrir quelques doutes sur la performance de M. Barnier en tant que ministre. Il n'est guère convaincant quand il doit faire deux voyages distincts au Proche-Orient pour y rencontrer Yasser Arafat, puis Ariel Sharon ; quand il conduit si bien l'affaire des otages en Irak que, deux mois et demi plus tard, ils ne sont toujours pas libres ; quand il perd de sa réserve et déclare à Arafat mourant que la France est avec lui, qu'elle sera toujours avec lui pour faire la paix, ce qui n'est en adéquation ni avec le contexte de violence, ni avec l'incapacité de son interlocuteur à l'entendre.
Surpuissance.
Mais peu importe : rien, dans les actions à venir de M. Bush ne dépend de M. Barnier, tout dépend de M. Bush lui-même. Le président américain n'a strictement aucune raison de modifier son comportement personnel ou diplomatique : sa victoire sur l'opposition est incontestable ; il dispose d'une majorité dans les deux chambres ; la croissance des Etats-Unis est largement supérieure à celle de l'Europe ; la baisse du dollar sert ses projets pendant qu'elle empoisonne la France, plus fragile que l'Allemagne en matière d'exportations. Comment voulez-vous qu'un homme élu en 2000 par la Cour suprême et qui s'est conduit ensuite comme s'il avait été plébiscité change de programme parce qu'il est réélu avec une majorité en voix populaires et en voix électorales ?
Ce constat, bien sûr, n'explique pas, comme le font des analystes au petit pied, chacun des gestes de M. Bush, par exemple l'offensive sur Falloujah, qui n'est pas un effet secondaire de la réélection, mais une opération conçue il y a plusieurs semaines.
Le chef de l'exécutif américain a beaucoup de défauts, mais il a au moins une qualité, il est persévérant. Et s'il refuse de reconnaître ses erreurs et ses difficultés, c'est aussi parce qu'il est patient et que le revers de la veille peut se transformer en succès du lendemain. Après tout, il n'a pas du tout échoué en Afghanistan (où certes, rien n'est parfait, mais où la démocratie progresse lentement) ; et pourquoi ne réussirait-il pas en Irak au bout de longs efforts ?
En conséquence, s'il existe une chance de changement chez M. Bush, elle ne vient pas de la surpuissance qu'il a acquise avec sa réélection. Elle vient du simple fait qu'il a été réélu.
BUSH PEUT CHANGER JUSTEMENT PARCE QU'IL A ÉTÉ RÉÉLU POUR UN DEUXIÈME ET DERNIER MANDAT
Réunifier.
Il ne peut pas se présenter pour un troisième mandat. On peut donc craindre qu'il fasse n'importe quoi puisqu'il n'a aucun compte à rendre. Mais il n'y a pas de cas de président réélu à un dernier mandat qui ne songe à l'image qu'il va laisser à la postérité. Nous aurions tendance à le croire quand il déclare qu'il veut réunifier une Amérique scindée par une campagne électorale particulièrement jalonnée de bassesses.
Mais il y a plus important : M. Bush a pris une mesure plus juste des choses depuis qu'il a envahi l'Irak. Il s'est heurté à de très vives résistances en Europe, en Turquie, dans le monde arabe. Il a constaté ensuite que ses conseillers s'étaient trompés quand ils avaient annoncé un Irak « libéré » qui se serait jeté dans les bras de l'envahisseur. Il ne peut pas avoir ignoré les affres de son meilleur ami, Tony Blair, cloué au pilori par les Britanniques pour la seule raison qu'il n'a pas voulu trahir M. Bush. Lequel sait aujourd'hui qu'il ne peut absolument pas financer une guerre qui coûte quelque 100 milliards de dollars par an, sans compter les vies humaines. Que les troupes alliées quitteront l'Irak dans un proche délai, y compris les forces anglaises. Que l'hyperpuissance ne peut rien contre des insurgés fanatiques non seulement capables de tuer et de mourir allègrement, mais de reconstituer leurs rangs dans n'importe quelle ville d'Irak.
Un chien de sa chienne.
Aussi M. Bush, qui ne fronce les sourcils que lorsqu'il fait une plaisanterie, doit garder un chien de sa chienne pour quelques membres de son entourage, depuis les néoconservateurs qui lui ont « vendu » le projet de démocratisation par la force du monde arabe jusqu'à Donald Rumsfeld qui sait gagner une bataille mais pas occuper un pays. Ce qu'on ne voit pas, c'est que M. Bush, qui nous paraît excessivement autoritaire, ne s'est même pas fâché quand la Turquie a refusé le passage des forces américaines : il lui a donné un milliard de dollars pour cette trahison. Qu'il n'est pas davantage fâché contre la France, mais pour une raison plus négative, à savoir qu'il n'y pense pas souvent, ou qu'il n'y pense jamais. Qu'il essaiera d'aider M. Blair lors des prochaines élections en Grande-Bretagne et donc qu'il ne lui demandera pas de nouveaux services. Et qu'il a déjà passé l'éponge avec l'Allemagne.
Ce qu'il faut à la France, c'est une vigilance extrême, si elle ne veut pas se retrouver isolée non seulement par rapport à l'Amérique mais en Europe même. Il n'est pas dit que l'axe Paris-Berlin-Madrid ne tombera pas en morceaux lorsque nous essaierons d'imposer une approche du Proche-Orient qui ne conviendra pas aux Américains, mais où nos alliés européens n'auront pas mis la même passion. C'est sur l'Irak que nous avons tenu la dragée haute aux Américains ; et la prochaine fois, ce sera sur la Palestine. A moins que nous soyons plus prudents.
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