Les sondages accordent 12 % au candidat Jean-Pierre Chevènement, au premier tour, contre 23 % pour Lionel Jospin et 26 % pour Jacques Chirac. Pour le candidat du Mouvement des Citoyens (MDC), c'est un score remarquable dont on voudrait dire qu'il ne faut pas le négliger si on savait où il mène.
Les candidatures du premier tour, comme chacun sait, ont pour fonction de permettre à toutes les sensibilités de s'exprimer ; elles montrent la variété des appartenances politiques ; elles font exister démocratiquement des partis et des votants qui ne se reconnaissent pas dans les courants majoritaires. Et bien que le pourcentage obtenu, dans les sondages et pour le moment, par M. Chevènement, ne l'autorise pas, ou pas encore, à s'imaginer au second tour, il apparaît clairement que les idées qu'il défend gagnent en audience et qu'entre six et sept millions de Français s'identifient à sa démarche. C'est déjà beaucoup.
Une corde populaire
Le candidat MDC a fait vibrer une corde populaire quand il a démissionné de son poste de ministre de l'Intérieur pour désavouer une politique corse qui, selon lui, met en péril l'unité du pays et les fondements de la République. Sa cote de popularité n'a pu que s'améliorer quand les Français ont constaté que les événements lui donnaient raison, à savoir que la poursuite des actes de violence en Corse porte un coup sévère aux accords de Matignon destinés à donner à la Corse son autonomie.
Le gouvernement a cru apaiser la crise corse en faisant des concessions extrêmes qui permettent aux élus corses d'adopter des lois spécifiques à l'île de Beauté. Il s'aperçoit aujourd'hui qu'il y aura toujours des Corses pour contester n'importe quel acquis qui ne serait pas l'indépendance pure et simple, alors que la majorité du peuple corse n'est pas favorable à une rupture des liens avec la France.
M. Chevènement a donc marqué un point décisif et, sur ce dossier, il a rassemblé beaucoup de Français. Mais ce faisant, il a remporté une victoire contre ce qui reste, en principe, son propre camp : les opinions les plus sévères à son endroit sont socialistes, communistes et écologistes. En revanche, il séduit des gaullistes purs et durs, des nationalistes, des électeurs qui se situent dans la mouvance de Charles Pasqua et peut-être de Philippe de Villiers.
Pour autant que les sondages expriment une vérité, il prend des voix dans l'électorat de droite. Est-ce à dire qu'il affaiblit l'opposition ?
Ce n'est pas ce que disent les sondages au sujet du second tour, que M. Chirac gagnerait par 52 % des voix, contre 48 % à M. Jospin. Certes, on ne saurait tirer la moindre conclusion d'enquêtes d'opinion réalisées à sept mois des élections dans un contexte particulièrement troublé et changeant. Ce qui déterminera le résultat final, c'est évidemment l'économie et il n'y a, aujourd'hui, aucune raison de penser qu'elle va s'améliorer. Mais en dehors de ce pronostic prudent qui ne va pas dans le sens d'une victoire de la gauche, il semble bien que M. Chevènement sera la victime de sa vertu : il est excellent quand il s'agit de rassembler ce qu'il appelle lui-même les républicains, mais il n'est pas que cela. Il est aussi vigoureusement anti-européen.
Ce n'est pas vraiment que l'Europe représente un thème qui passionne les Français ou qu'elle progresse à un rythme à la fois invincible et enthousiasmant. Il se trouve simplement qu'elle est garantie par un système de cliquets qui lui interdit de faire marche arrière. L'euro vaut ce qu'il vaut, mais il sera dans nos poches dans deux mois ; un réseau de lois et surtout de dispositions administratives européennes régit désormais notre vie quotidienne ; la construction européenne a créé pour chacun d'entre nous des droits et des devoirs qui, s'ils venaient à disparaître brusquement, nous placeraient dans une situation impossible.
A prendre ou à laisser
Or M. Chevènement est à prendre ou à laisser. Il est entier, rigoureux et même intraitable sur certains sujets. Imaginons qu'il arrive au pouvoir et veuille renoncer à l'euro : s'il est vrai que nous aurons quelques difficultés à nous adapter à la monnaie unique, nous serions plongés dans le chaos si, l'an prochain, nous décidions d'en sortir.
Et il en va de même pour le reste : isolés du reste de l'Europe, nous aurions aussi la prétention de nous dresser, de toutes nos forces nationales, contre les Etats-Unis. Cette belle singularité du pot de terre, il faudrait l'assumer jusqu'à ce que des mesures protectionnistes, une politique extérieure qui remettrait en question nos affiliations occidentales, une position intransigeante sur la défense transforment notre affaiblissement et notre isolement en implosion économique et sociale.
Certes, aucun candidat ne fait tout ce qu'il annonce ; et M. Chevènement a assez de bon sens pour n'administrer sa potion qu'à doses filées. Mais qui, en France et dans une conjoncture aussi troublée, pourrait être tenté par une aventure, ou même par le risque d'une aventure ?
Voilà pourquoi il semble que, pour le second tour, les électeurs de gauche retourneront à la gauche et ceux de la droite reviendront dans leur camp. En réalité, M. Chevènement ne poserait un problème que s'il n'y avait qu'un tour, comme aux Etats-Unis. Car ses 12 %, il faut bien qu'il les prenne quelque part. Bien sûr, il peut les prendre à égalité dans chacun des deux camps. Mais s'il séduisait la gauche plus que la droite, ou la droite plus que la gauche, il représenterait un réel danger, comme tout troisième homme qui se présente aux élections américaines.
Ce n'est pas le cas en France, où le troisième candidat peut seulement espérer peser sur l'action du gouvernement après les élections. Cependant, si la gauche l'emporte au second tour, ce sera nécessairement avec le concours des électeurs du MDC. C'est donc M. Jospin qui peut craindre M. Chevènement. Pas M. Chirac.
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