PLATON n'a pas très bonne mine, il souffre de partout et s'il s'allonge sur le divan perclus de douleurs, c'est pour dire à Freud qu'il est tourmenté par un rêve, celui d'un bébé pris dans les glaces. Et puis en vieillard un peu radoteur et grincheux, le voici qui reprend son antienne favorite. On lui a tout volé, toutes ses... Idées, son ciel de Formes parfaites, sa morale faisant du corps un tombeau, même les marxistes ont rêvé d'un «autre monde», ne faisant que renverser son idéalisme. Comprenez, dit-il, «ce ciel des idées, je l'avais conçu comme un monde parfait peuplé de vérités éternelles... Les chrétiens l'ont démocratisé, voilà tout; ils l'ont rendu accessible à la foule.»
La faute de Platon.
À plusieurs reprises, Platon parle d'une «faute» et le dentiste Freud sent qu'il a touché un point douloureux, les résistances sont encore trop fortes... Il y a l'Autre dont il ne peut parler tout de suite, alors il contourne, condense, déplace : «Tout cet idéalisme, dit-il, j'aurais préféré qu'il ne perce jamais la glace.»
On assiste dans ce fragment d'analyse à des scènes où Freud se fait un peu trop pressant dans ses questions, induisant ce qu'il croit avoir compris : ce bébé pris dans la glace, ne serait-ce pas Platon que gélifie une rivalité avec l'Autre, l'autre partie de lui-même, n'a-t-il pas tout fait pour que la confusion soit possible ? En se faisant son disciple et en mettant après dans sa bouche ses propres thèses.
De cette faute, Platon accouche-avoue un peu plus tard : «Je n'étais pas à son procès», absent de la mise à mort la nuit même où il but la ciguë. «En échange, je lui ai offert mes dialogues, et conféré par cela même une manière d'éternité.»
Platon était ce jour-là à Égine, pas très loin d'Athènes, fuir là-bas, fuir, loin d'un désir inadmissible pour la conscience : se réjouir de la mort de son maître. «Je n'avais pas peur de lui dire au revoir, j'en avais quand même envie.» De fait, l'Idéalisme, le refus du corps, c'était LUI, moi, dit Platon, nom-sobriquet du Large, c'est moi dont le corps est moulu sur ce divan viennois, sans le chant du cygne et la voix caverneuse.
Pas beaucoup de surprises avec la psychanalyse de Kant. Comment déstabiliser le «vieux Chinois de Königsberg», comme disait Nietzsche, l'homme de l'inflexible loi morale qui nous dit «Tu dois, donc tu peux».
D'abord, Kant est un jour tombé amoureux, perturbé, il est sorti de chez lui à une heure inhabituelle, amusant clin d'oeil au fait que les ménagères mettaient la soupe sur le feu en le voyant commencer sa promenade.
Donc Kant ravale sa passion, la raison ne doit pas se laisser submerger par le sensible. Il a lu « Mars », de Fritz Zorn, cet homme qui ne peut pleurer mais qui accumule ses larmes (merci pour le symbolisme) jusqu'au cancer.
Mais de toute façon, aimer ne peut pas être un impératif catégorique puisqu'un sentiment ne peut commander de manière inconditionnelle, sans parler de la sexualité. Alors Pépin-Freud, extrêmement narquois, de suggérer : mais si on commandait l'abstinence de façon absolue, on aboutirait à une contradiction, il n'y aurait personne pour obéir puisque l'humanité s'éteindrait. De dépit, Kant, considéré comme le pire des pisse-vinaigre, l'austérité piétiste incarnée, passa les derniers moments de sa vie à dessiner des appareils pour retenir les bas.
L'oeil de Sartre.
Mais quel meilleurs gibier que Sartre pour le père de la psychanalyse ? Un penseur plein d'angoisse, une aubaine, même si elle est estampillée « existentialiste » et n'a que peu de rapport avec le complexe de castration.
Autre raison d'être captivé, un mal-être surdéterminé frappe l'idole binoclarde chez qui la nausée abonde, même si cette impression d'un monde se vidant brutalement de son sens n'est pas le cigare préféré de Freud. Ajoutons à cela que ce petit Sartre déteste l'idée d'inconscient : «Il n'y a pour une conscience qu'une seule manière d'exister, c'est d'avoir conscience qu'elle existe.» Le philosophe français lui préfère la mauvaise foi, sorte de dédoublement, d'auto-aveuglement de soi à soi qui permet de faire l'économie de la lourde hypothèse de désirs refoulés et dont il a bien fallu avoir conscience pour choisir entre les décents et les interdits.
On sent bien l'irritation de Freud devant ces miNes, ces afféteries sartriennes : j'ai toujours joué un rôle, moi le petit Poulou, déjà je jouais à l'enfant sage, puis, dans mes livres, j'ai joué au garçon de café prisonnier du regard social. Ça y est ! Nous y voilà, tout est fixé sur l'oeil et sa laideur divergente. L'honneur, c'est, dans un huis-clos, de ne pouvoir échapper au regard d'autrui, que ne se crève-t-il pas les yeux comme l'autre qui a vu ce qu'il ne devait pas voir, tonne Freud.
Et dire que c'est ce même patient qui devait faire le scénario de ma vie pour John Huston ! Que pouvait-il comprendre à un neuro-matérialiste, lui qui ne parle que de liberté ?
Jean Dutourd aurait trouvé le livre «épatant». Disons que l'intense culture de Pépin ôte un peu à l'ouvrage de sa spontanéité, mais qu'on y prend un vrai plaisir de second degré.
* Flammarion, 2006, France Loisirs/J'ai lu.
Charles Pépin « les Philosophes sur le divan », Flammarion, 352 p., 19 euros.
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