Premier vecteur de pénibilité, les horaires de travail. 39 % des médecins déclaraient ainsi travailler « fréquemment la nuit » dans l’étude de la Drees (Direction le recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), parue en novembre 2009 et intitulée « l’organisation du travail à l’hôpital : évolutions récentes ». Une étude, centrée sur l’hôpital public qui fait pourtant encore référence aujourd’hui. Or, la perturbation récurrente du rythme circadien ainsi que des cycles de sommeil dérégule les fonctions physiologiques. Pis, le travail de nuit serait, d’après le Centre international de recherche sur le cancer, un facteur « probablement cancérigène pour l’homme ». Plus largement, 50 % des médecins étaient soumis à des horaires déterminés par leur établissement sans possibilité de modification. À cela s’ajoute un nombre d’heures de travail régulièrement supérieur à la durée légale avec, à la clef, des compensations financières ou sous forme de RTT loin d’être toujours équivalentes.
Deuxième grande source de pénibilité, les conditions de travail où prédominent les urgences et les injonctions paradoxales. Le rythme de travail est en effet marqué par l’immédiateté. D’ailleurs, 36 % des médecins affirmaient ne pas pouvoir interrompre momentanément leur travail. Ce qui oblige à faire des choix cornéliens entre délais et qualité des actes, cette dernière étant privilégiée dans la très grande majorité des cas (82 %) de même, plus généralement, que le cure (le soin stricto sensu) au détriment du care (accompagnement du patient).
« L’hôpital public est déstabilisé, explique François-Xavier Schweyer, sociologue à l’École nationale de santé publique. Auparavant, il y avait un système normatif assez clair au niveau de la hiérarchie. Les gens savaient ce qu’ils avaient à faire. Aujourd’hui, tous les métiers qui travaillent sur autrui sont complexes. Et les agents doivent s’interroger sur ce qu’ils font et effectuer des ajustements normatifs au niveau individuel, ce qui participe d’une charge mentale et génère une mauvaise fatigue. »
« Le travail d’adaptation engendré par les réformes participe de la pénibilité »
Ce contexte oppressant est anxiogène, 59 % des médecins ayant conscience qu’une erreur dans leur travail peut entraîner des conséquences dangereuses pour leur sécurité (59 %), pour celle d’autres personnes (84 %), sans compter d’éventuelles suites négatives (sanctions, perte de salaire, licenciement, etc.) sur le plan professionnel (73 %) ainsi que pour l’établissement dans son ensemble (83 %). Un sentiment de responsabilité extrêmement prégnant également mis à mal par un fort sentiment d’insécurité, car nombre de professionnels de santé s’estiment exposés à des agressions verbales, voire à un risque d’agression physique. Autant de contraintes génératrices de risques psycho-sociaux (RPS) tels que le stress ou le burn-out.
La Dress révèle également qu’au cours des dernières années, la pénibilité s’est accrue en particulier dans les hôpitaux en proie à « un isolement grandissant de certains usagers ainsi qu’à l’appauvrissement ou à la précarisation de la population environnante dont la prise en charge nécessite une attention et un temps particuliers ». En outre, les restructurations, les modifications de l’organisation et autres compressions de personnels dans un souci de rationalisation et de restrictions budgétaires sont loin d’être neutres.
« Le travail d’adaptation engendré par les réformes participe de la pénibilité, confirme François-Xavier Schweyer. On est dans un système extrêmement complexe, pas très bien organisé ni régulé. Il faudrait un peu de temps pour maintenir le lien social et la cohésion des équipes. Or le management ne reconnaît pas ce temps, car on considère que c’est du temps perdu pendant lequel les gens ne produisent pas. C’est une grosse erreur. Cependant, nous ne sommes pas forcément dans une dégradation permanente et totale. Des efforts ont été fait dans certaines filières comme la cancérologie. »
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