Le Dr H., 59 ans, est pédiatre au service de la protection maternelle et infantile du centre médico-social de Dole (Jura). Elle répond devant la section disciplinaire du conseil de l'Ordre des médecins de Franche-Comté d'infractions au code de déontologie et encourt une peine qui peut aller de l'avertissement à l'interdiction, temporaire ou définitive, d'exercer.
L'objet du délit est un livre qu'elle n'a pas écrit. Intitulé « Hiérodules », l'ouvrage, publié à l'automne 2000 aux éditions Blanche, est signé par une adepte du genre érotique, la psychanalyste lacanienne Elisabeth Herrgott, amie du Dr H. L'auteur y décrit les relations sado-masochistes qu'elle entretient avec « Monica », dans sa maison de La Loye, près de Dole. Fourmillant d'anecdotes sur la vie de cette petite commune jurassienne, le livre a convaincu un certain nombre de ses lecteurs du lien entre l'héroïne Monica et la pédiatre du centre médico-social.
Les confidences supposées de l'héroïne ont soulevé l'indignation dans le service de protection maternelle et infantile, où a circulé une pétition. De nombreux parents n'aiment pas imaginer le pédiatre de leurs enfants en train de recevoir des fessées à quatre pattes.
« J'ai été saisi de l'affaire à plusieurs reprises par le président du conseil général (de qui dépend le centre médico-social, NDLR), explique au « Quotidien » le préfet du Jura, Laurent Cayrel, lui-même alerté par les pétitionnaires ; j'ai donc missionné le médecin inspecteur de la direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS) pour mener l'enquête. Du rapport qu'il m'a remis, il ressort que le Dr H. est parfaitement reconnaissable dans le personnage de Monica, dont le pseudonyme est totalement transparent. De surcroît, plusieurs personnages s'affirmant mis en cause y sont également identifiables sans aucune équivoque. C'est en particulier le cas d'un médecin coordinateur, rebaptisé dans le roman Dr Gredin. »
Sur la foi des conclusions de la DDASS, tenant compte du « vif sentiment d'émotion suscité parmi les familles », Monsieur le préfet a donc décidé de déposer plainte devant le conseil régional de l'Ordre des médecins de Franche-Comté.
« C'est une procédure qui s'applique aux médecins de service public, en application du code L 41242 du nouveau code de santé public, précise au « Quotidien » le Dr Jean Lebrat, qui préside l'instance ordinale, les médecins libéraux étant en pareil cas traduits devant la juridiction départementale. »
Les neuf membres de la section disciplinaire, assistés par le président de la deuxième chambre de la cour d'appel de Besançon, ont entendu les parties en présence. Ils ont voté samedi dernier à bulletin secret pour dire si, à leurs yeux, l'affaire constitue bien, comme l'affirme le préfet, une infraction aux articles 2, 33, 11, 20, 31 et 56 du code de la santé publique. Leur décision sera rendue publique sous quinzaine. Elle est susceptible d'appel devant le Conseil national de l'Ordre.
En attendant, l'avocat du Dr H., Me Emmanuel Burget, dénonce une « chasse aux sorcières ». « Ma cliente est soupçonnée de violation du secret professionnel et de manquement au devoir de réserve, alors qu'il ne s'agit que des délires d'un écrivain connu pour sa provocation, tempête le défenseur. Même si le livre a, comme tout roman, un rapport ambigu avec la réalité, il ne s'agit que de fiction. »
L'auteur, pour sa part, dénonce « une cabale moyenâgeuse contre un livre de dérision, cru et cruel, un livre de terroir de dérision et d'autodérision dont seuls les chiens sortent épargnés. Je croyais, à entendre dernièrement le Premier ministre, que dans ce pays la liberté d'écrire était garantie ! Tout cela est d'un ridicule total ! » s'écrie-t-elle.
Le Dr H. se déclare pour sa part « révoltée » et dénonce les « humiliations » qu'elle subirait à son travail. Elle est en arrêt de travail pour dépression depuis mars 2001.
* Art. 20 : « Le médecin doit veiller à l'usage qui est fait de son nom, de sa qualité ou de ses déclarations ». Art. 31 : « Tout médecin doit s'abstenir, même en dehors de l'exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci. » L'article 2 porte sur le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ; l'article 33 sur le soin et le temps à consacrer au diagnostic ; l'article 11 sur le perfectionnement des connaissances et l'évaluation des pratiques ; et l'article 56 sur les rapports confraternels.
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