On sait que, chez les mammifères, plusieurs familles de gènes codent des peptides dotés d'une activité antibactérienne comme les défensines et les cathélicidines. Ces peptides sont exprimés au niveau des surfaces épithéliales et dans les neutrophiles. On leur a attribué un rôle de défense anti-infectieuse de première ligne, agissant comme des « antibiotiques » naturels.
Toutefois, l'effet protecteur de ces peptides antimicrobiens est remis en question par le fait que plusieurs de ces peptides sont facilement inactivés et le fait qu'ils ont divers effets cellulaires, différents de l'activité antimicrobienne que l'on a démontrée in vitro.
Il était nécessaire d'en savoir davantage. Ce qui a conduit Victor Nizet et coll. (San Diego et Boston) à étudier l'effet d'un peptide antimicrobien spécifique dans un modèle murin d'infection cutanée.
Similitudes entre un peptide murin et un peptide humain
Le choix s'est porté sur une cathélicidine : le peptide CRAMP de la souris, qui possède des similitudes avec le peptide LL-37 de l'homme : gènes similaires (CAMP chez l'homme et Cnlp chez la souris), structures alpha hélicoïdales semblables, même spectre antimicrobien, même distribution tissulaire. On sait que les cathélicidines CRAMP et LL-37 sont grandement accrues dans la peau après une plaie (relargage par les neutrophiles, synthèse par les kératinocytes).
Les Américains ont réalisé deux séries d'expériences pour démontrer le rôle du peptide CRAMP de la souris contre l'infection nécrosante à streptocoque du groupe A : ils ont, dans un premier temps, étudié l'effet du streptocoque chez des souris déficientes en CRAMP, puis, dans un deuxième temps, étudié l'effet d'un streptocoque A résistant à CRAMP chez des souris normales.
Premier temps : la création de souris privées du gène Cnlp, codant CRAMP, pour obtenir des souris hétérozygotes, soit homozygotes (déficientes en CRAMP). Le choix s'est porté sur le streptocoque A pour plusieurs raisons :
- l'infection de ce germe provoque normalement chez la souris une augmentation locale de CRAMP ;
- ce streptocoque est hautement sensible à l'action antimicrobienne des cathélicidines ;
- l'injection sous-cutanée de ce streptocoque à la souris induit une lésion nécrotique similaire sur le plan histopathologique, à ce que l'on voit dans l'infection invasive de l'homme.
Dans la présente étude, après injection du streptocoque A aux trois types de souris (sauvages, hétérozygotes ou homozygotes), on a constaté que les souris déficientes en CRAMP ont des lésions infectieuses bien plus importantes. Chez les souris déficientes en CRAMP à l'état homozygote, les lésions grandissent plus rapidement, atteignent une taille plus grande et durent plus longtemps que chez les souris sauvages. Chez les souris hétérozygotes, les lésions sont de taille intermédiaire. Des cultures de biopsies réalisées à J7 montrent une infection persistante chez les souris déficientes en CRAMP mais pas chez les souris sauvages.
La création d'un streptocoque résistant à CRAMP
A ce stade, les auteurs disposaient déjà d'une très bonne indication sur l'activité anti-streptocoque A du peptide CRAMP chez la souris. Mais ils ont voulu aller plus loin en manipulant non plus les souris mais le streptocoque. Ils ont donc conçu, par l'induction d'une mutation, un streptocoque A résistant à CRAMP. Ils ont alors comparé ces streptocoques résistants à CRAMP à des streptocoques sauvages, sensibles à CRAMP, en ce qui concerne la capacité à induire une infection cutanée nécrosante chez des souris normales. Résultat : les souris infectées avec un streptocoque A mutant avaient des lésions plus grandes et durant plus longtemps que les souris infectées avec le streptocoque sauvage. Constatations confirmées par l'histologie à J7.
« Nous avons montré que les cathélicidines constituent chez la souris un important système de défense naturelle et induit une protection contre l'infection cutanée nécrosante à streptocoque du groupe A », concluent les auteurs.
Autres peptides, autres protections
Les chercheurs rappellent que des études antérieures ont aussi suggéré que les peptides antibactériens des mammifères confèrent une protection in vivo. Exemples : chez le cochon, l'inhibition de l'activation des peptides antimicrobiens accroît la colonisation d'une plaie par Staphylococcus epidermidis ; chez la souris, une résistance à l'action des peptides antimicrobiens contribue à la virulence de Salmonella ; chez l'homme, une baisse de l'expression intestinale des cathélicidines et de la bêta-défensine 1 est corrélée à une infection par Shigella ; chez la souris transgénique, l'hyperexpression d'un peptide antimicrobien humain accroît la clairance pulmonaire de Pseudomonas aeruginosa.
« Ces observations, combinées avec la nôtre, suggère que l'étude d'un déficit en cathélicidines au niveau d'autres revêtements épithéliaux pourra contribuer à définir les fonctions de cette famille de peptides antimicrobiens en pathologie. D'autres peptides antimicrobiens (comme les défensines), coexprimés avec les cathélicidines, agissent de façon synergique in vitro et peuvent avoir un rôle similaire in vivo. »
« De plus, ajoutent les auteurs, l'influence des cathélicidines et des défensines sur l'immunité cellulaire, par le biais du recrutement des leucocytes, peut aussi contribuer à leur rôle protecteur. »
« Nature » du 22 novembre 2001, pp. 454-457.
(1) « Nature Immunology » et « le Quotidien » du 5 novembre 2001.
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