Un rapport inquiétant du Cerc

La pauvreté aujourd'hui

Publié le 18/02/2004
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LES STATISTIQUES sur la pauvreté, le chômage et l'exclusion sont toujours impressionnantes : environ un quart de la population française vit dans des conditions qui sont indignes d'un pays avancé comme le nôtre. Nous ne sommes pas les seuls à compter un quart-monde au sein de la prospérité générale. Ce n'est pas une raison pour négliger le problème.
Beaucoup d'experts rappellent que, souvent, il ne suffit pas d'avoir un emploi pour sortir de la pauvreté et que le nombre de familles qui vivent dans le dénuement bien que l'un de ses membres au moins ait un emploi est voisin du nombre de familles appauvries par le chômage.

POURQUOI LE TAUX DE CHOMAGE EST-IL DE 9,7 % EN FRANCE ET DE 3 % AU ROYAUME-UNI ?

Trois fois plus de chômeurs qu'en Grande-Bretagne.

Le travail n'arrache donc pas automatiquement les familles à l'exclusion, mais il y contribue. Or notre taux de chômage atteint 9,7 %, l'un des plus élevés d'Europe, alors qu'il n'est que de 3 % au Royaume-Uni et de 5,6 % aux Etats-Unis. Pourquoi sommes-nous à la traîne en matière d'emploi ?
Parce que nous nous sommes abandonnés, depuis une trentaine d'années, à un traitement purement social de la crise économique qui a commencé en 1974 et ne nous a offert un répit qu'entre 1997 et 2002. Nous n'avons pas tiré avantage de ce répit pour réduire les dépenses de l'Etat, limiter les effectifs dans la fonction publique et donner aux entreprises les clés de leur épanouissement, donc de l'embauche.
Le gouvernement actuel s'efforce de lancer des réformes dans tous ces domaines au prix d'une impopularité croissante.
Avec près de deux millions et demi de chômeurs, soit au moins cinq millions de foyers qui dépendent de l'assistance collective, il est évident que nous ne sommes pas loin d'avoir trouvé la première explication de l'exclusion, sinon la seule. (Les chômeurs indemnisés sur la base de l'emploi qualifié qu'ils ont perdu peuvent garder un niveau de vie décent pendant au moins deux ans). Mais il est vrai que, alarmé par les conséquences des déficits, le gouvernement, depuis peu, s'est attaqué à des dépenses qui ont créé des trous béants dans le filet social : il a imposé des limites à l'indemnisation du chômage, à l'aide médicale d'Etat et toute une série de soutiens aux foyers pauvres, dont l'effet sur la vie quotidienne de ces personnes est désastreux.
Leur situation est aggravée par le rapport de forces social tel qu'il établi en France : des syndicats de moins en moins représentatifs partent en guerre contre des réformes d'autant plus impopulaires que leur effet ne peut être ressenti que plusieurs années plus tard, ce qui ne les rend pas moins indispensables. Mais les mêmes syndicats ne défendent pas les chômeurs, représentés par le mouvement Attac qui, malheureusement, au lieu de revendiquer pour ses mandants, adhère à l'altermondialisme dont on ne dira jamais assez qu'il est beaucoup moins nuisible au marché du travail en France que la réduction des budgets consacrés, par exemple, à la recherche.

L'autre injustice.

A l'injustice courante qui divise en classes inégales toute société fondée sur l'économie de marché, s'ajoute en France une autre injustice qui crée deux grandes classes : ceux qui ont un emploi, la semaine de 35 heures, le droit de grève et peuvent réclamer des hausses de salaires et ceux qui n'ont rien, c'est-à-dire pas d'emploi, puis un jour pas d'indemnités de chômage, puis un autre jour doivent commencer à vivre avec le RMI. L'augmentation du nombre de sans-abri, la clochardisation des habitants les plus pauvres des grandes villes, la hausse inévitable des prestations de la charité des associations sont explicables par un chômage de très longue durée qui n'est plus indemnisé.
Bien que ce qui meut les chefs d'entreprise soit uniquement le profit, bien qu'une diminution des charges assortie d'une réduction des dépenses publiques (encore faut-il faire les bons choix) ne garantisse pas un essor du recrutement, il ne fait plus aucun doute qu'un pays qui consacre encore quelque 45 % de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses collectives ne peut plus créer un climat favorable à l'éclosion des entreprises, surtout des PME (petites et moyennes entreprises) qui forment un maillage serré et dictent des rapports infiniment plus conviviaux entre employeur et employé.
Le gouvernement fournit des efforts courageux pour renverser la tendance, diminuer les effectifs des fonctionnaires, réduire les avantages des non-actifs, bref ramener progressivement la part du PIB réservée au train de l'Etat à une proportion plus facile à gérer (l'idéal serait 30 à 35 %, mais nous mettrons des décennies à y parvenir).

Payez-les plus pour qu'ils achètent.

Quant aux exclus qui ont tout de même un emploi, ils sont les victimes d'une politique salariale à courte vue, les entreprises n'ayant jamais compris que les personnes qu'elles licencient ou qu'elles paient mal sont aussi des clients qu'elles perdent.
Ce sont les individus, ce sont les familles qui paient les crises : elles les paient en emplois perdus, en salaires trop bas, en prestations sociales raréfiées. Bien entendu, le marché détermine aussi le marché social. Mais pourquoi faut-il que nous ne tirions jamais la leçon de nos expériences passées : ce qui explique mai 68, ce n'est pas seulement le ras-le-bol culturel d'une société confrontée à l'immobilisme, c'est aussi le niveau des salaires. Après Grenelle, qui a payé les Français pour qu'ils ne fassent pas une révolution, l'économie n'a-t-elle pas fait un bond en avant ? Les entreprises aussi doivent, en 2004, faire leur aggiornamento et pas seulement les syndicats.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7481