D'interrogatoires longs et soutenus, la vérité finit par émerger. Il n'y a pas d'exemple que le secret le plus intime ne soit révélé au gré d'une conversation assez longue : c'est la puissance des mots.
Ancien PD-G d'Elf, impliqué dans un procès-fleuve à tiroirs, Loïk Le Floch-Prigent a toujours clamé son innocence. Un autre l'avait fait avant lui et a été blanchi : c'est Roland Dumas. Donc, pourquoi ne pas croire M. Le Floch-Prigent ? Dans la phase ultime du procès, un soudain besoin de faire la lumière sur ses activités irrégulières l'a saisi à la gorge. Il s'en est libéré en parlant.
Bombardé de questions par le tribunal, il a fini par mentionner les sommes énormes qu'il a consacrées à des dépenses personnelles, et, comme ses révélations décrivaient de coupables détournements de fonds, il a fourni une explication qui semble tendre à le disculper : la passion. Du luxe ? Non, de l'amour, l'amour fou que lui inspirait une femme, Fatima Belaïd, dont on aura pu constater, au passage, qu'en accablant son ex-mari pour mieux échapper aux foudres de la justice, elle n'a pas amélioré le cas de Loïk Le Floch-Prigent et pas davantage le sien du point de vue moral.
L'amour. Qui aurait pu penser à cette forme de défense ? Sa folle passion a conduit l'ancien PD-G à dépenser des millions de dollars que lui remettait Alfred Sirven. A Elf, il y avait une cagnotte pour acheter des complaisances commerciales ; pourquoi n'auraient-elles pas servi aussi à améliorer le niveau de vie de quelques membres de la direction ? Sirven aurait pu lui aussi invoquer les sentiments pour la jeune femme que la police philippine a cruellement privée de sa présence.
Franchement, on n'en revient pas. On ne comprend pas que M. Le Floch-Prigent, qui semble sincère, ait pu croire que son pouvoir de séduction devait être assorti d'une montagne de billets de banque, que l'objet de sa flamme méritait une telle débauche de luxe. Un grand commis de l'Etat s'est avili pour démontrer son adoration à son épouse. En d'autres termes, cet amour se nourrissait du détournement de fonds et de dépenses somptuaires, était donc impur et a transformé le couple en Bonnie et Clyde en col blanc.
Il y a une telle distance entre, d'une part, les compétences de M. Le Floch-Prigent, ses responsabilités au sein d'une des plus grandes entreprises françaises et le pouvoir qui lui était dévolu et, d'autre part, son comportement d'adolescent porté à l'incandescence par un amour irraisonné qu'on en arrive à se demander si une âme aussi fragile n'aurait pas dû écrire de la prose romantique plutôt que de négocier l'exploitation de gisements pétroliers à l'étranger.
Plus on avance dans cette affaire et plus on mesure le degré de complicité des plus hautes autorités de l'Etat : selon l'ex-PD-G, François Mitterrand lui aurait demandé de faire part égale, dans ses largesses, entre la gauche et la droite. Et on offrira une explication à sa fabuleuse dérive : sans doute a-t-il été quelque peu déstabilisé par l'existence d'une caisse noire contenant des dizaines de millions ; mais si, dans ses conversations privées avec Mitterrand, il a ouvert une fenêtre sur la passion qui l'habitait, il ne pouvait trouver d'interlocuteur plus compréhensif. L'indulgence était peut-être le trait de caractère le plus fort du président ; il n'y avait rien que quelqu'un eût pu commettre et qu'il ne sût pardonner. Lui qui fréquentait Bousquet pardonnait à ses ennemis, se réconciliait avec ses adversaires, ne tenait pas rigueur a fortiori à ceux qui, pour avoir des faiblesses, ne l'en servaient pas moins. Mitterrand était avocat, pas procureur. Et comme il se pardonnait à lui-même ses propres contradictions ou ses parcours tortueux, il n'aurait, pour rien au monde, été plus sévère pour ceux qui oubliaient la rigueur déontologique et juridique à laquelle ils étaient tenus.
Le pouvoir au service des autres pouvoirs, en quelque sorte. Mais il faut prévoir, et savoir, que le pouvoir change, que des employés moins puissants refont les comptes, que l'immunité d'un jour ne protège plus un autre jour. La machine judiciaire ne saurait admettre qu'une complaisance de l'Etat serve d'alibi et, si elle est moins sévère pour les crimes passionnels que pour les autres, elle ne va pas jusqu'à faire de l'amour un argument en faveur de l'avidité pécuniaire. C'est la mort, pas l'amour, qui éteint son action.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature