LA SANTE EN LIBRAIRIE
L ORSQUE le petit-fils de Pierre et Marie Curie, également fils de Frédéric et Irène Joliot-Curie se décide à prendre la plume pour « témoigner », on pourrait s'attendre à un livre de souvenirs, à la saga d'une famille exceptionnelle. C'est pourtant la recherche, et elle seule, qui est l'héroïne du livre signé par Pierre Joliot, en toute fidélité à la tradition familiale.
Fidélité dans la discrétion d'abord : il lui eût été facile en effet d'attirer de nombreux lecteurs en leur fournissant anecdotes et détails de la vie privée de ses quatre prestigieux parents. On rencontre souvent l'un ou l'autre de ces derniers au fil des pages, tant leur place dans le monde de la recherche est essentielle. On partage même l'émotion de Pierre Joliot à l'évocation d'un discours de son père. Mais l'une des seules allusions à la vie privée de Frédéric et Irène Joliot-Curie, qui concerne leur attachement à de longues vacances sportives, n'a pour but que de souligner l'intérêt de ces ruptures comme « occasion unique » de se « ressourcer et de sortir des ornières dogmatiques dans lesquelles nous (les chercheurs) tombons tous ». Un peu plus loin, si l'auteur évoque le manque de goût de sa mère, Irène Joliot-Curie, pour le pouvoir, c'est parce qu'elle n'a accepté qu'à son corps défendant d'être la première titulaire du sous-secrétariat à la Recherche créé lors du Front populaire.
Fidèle à la tradition familiale, Pierre Joliot l'a aussi été en optant résolument à son tour pour le métier de chercheur, en dépit de sa « certitude qu'il ne pourrait que faire moins bien que ses parents ». Sans doute a-t-il abandonné la discipline de ses parents et grands-parents au profit de la biologie, et plus particulièrement du processus photosynthétique, mais c'est sur le conseil de son père Frédéric : celui-ci craignait en effet que la lourdeur de l'équipement désormais nécessaire à la recherche en physique lourde, étouffât la personnalité des chercheurs, et, partant, le plaisir inhérent à la recherche.
Une activité créatrice
On touche là à l'héritage familial essentiel, celui des valeurs qui lui ont été transmises dans son enfance par ses parents, celui que Pierre Joliot entend défendre et illustrer avant tout, tant il est convaincu que ces valeurs ne sont pas « obsolètes », mais au contraire productives pour la recherche comme pour la société. La première de ces valeurs est la reconnaissance de la recherche comme activité créatrice avant tout, même si cette dernière doit s'appuyer sur « un haut degré de compétence technique ». Point de créativité, donc de recherche, sans plaisir, plaisir du jeu intellectuel, plaisir esthétique, plaisir de « l'artisan devant un travail bien fait ». Les conséquences d'une telle conviction, multiples, animent la plupart des chapitres et dessinent un chercheur enthousiaste, sachant qu'il reste toujours davantage à découvrir ; modeste, tant les voies de la découverte sont imprévisibles ; capable de prendre des risques plutôt que de se perdre dans des modes plus productives financièrement que scientifiquement ; conscient de la valeur d'un continuum entre recherche fondamentale, recherche finalisée et recherche appliquée ; convaincu de son droit à l'erreur et à l'incertitude.
Les dérives de l'évaluation
Cinquante années dans le giron de la recherche française ajoutées à l'expérience familiale lui fournissent en abondance les exemples nécessaires à une démonstration qui, loin d'être toute dédiée à la conservation d'un passé glorieux, s'intéresse de fort près à l'avenir de la recherche. Ainsi, il lui paraît en effet aussi important de prendre conscience des dérives des modes actuels d'évaluation, qui risquent de privilégier la norme aux dépens du nouveau, de l'inconnu. Il relève les dangers d'un usage incontrôlé des moyens de communication actuels comme de la systématisation de la mobilité géographique des chercheurs, facteurs d'une « homogénéisation culturelle », elle aussi peu propice à l'innovation. Aux postes de responsabilité, il préfère voir accéder ceux que le pouvoir et la compétition n'attirent guère plutôt que des individus animés « d'un désir immodéré de pouvoir » et à la mise en place d'une pâle copie du modèle américain, il préférerait un assouplissement et une adaptation du système français aux circonstances actuelles. En chercheur résolument « créatif », il ferme son livre sur un « éloge de la diversité », diversité de la recherche, aucune discipline ne méritant d'être écartée, diversité des chercheurs, les normes devenant facilement des menaces pour le jeu, l'aventure, le plaisir que doit rester avant tout la recherche.
« La recherche passionnément », Pierre Joliot, Editions Odile Jacob Sciences, 208 pages, 130 F (19,82 e).
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