Le premier prix de la fondation Gilbert Lagrue pour la recherche sur la dépendance tabagique, créé avec le soutien des Laboratoires Pierre Fabre Santé, a été remis au Dr Régis Grailhe, pour ses travaux prometteurs sur les récepteurs nicotiniques. Issu du laboratoire de neurobiologie du Pr Jean-Pierre Changeux, à l'Institut Pasteur, Régis Grailhe a montré sur un modèle animal que certains récepteurs nicotiniques étaient impliqués dans la dépendance au tabac, mais aussi dans le contrôle des réflexes respiratoires perturbés lors de la mort subite du nourrisson, ou encore dans la régulation des populations lymphocytaires.
« On savait qu'il y avait des récepteurs silencieux qui apparaissaient dans le SNC avec la consommation de tabac, on a vu qu'ils apparaissaient aussi dans le sang, voire , plus récemment, dans le cur, explique Régis Grailhe. Dans le sang, ce marquage est corrélé au niveau de tabagie. On a donc là un moyen de diagnostic de la dépendance. »
Des médecins pas assez formés
Le Pr Gilbert Lagrue, qui a remis le prix au lauréat, n'a pas eu de mots trop durs contre « l'habileté perverse de l'industrie du tabac », qui fabrique à coup d'édulcorants, d'arômes et d'ammoniaque, voire d'extraits de chocolat (qui augmentent la dilatation des bronches), des cigarettes à la fumée plus douce, plus attrayantes pour les jeunes, mais aussi plus toxiques. « La dépendance est plus rapide et plus intense car la nicotine est inhalée plus profondément et se fixe très rapidement sur le cerveau. Les cancers qui en découlent affectent les bronchioles et sont plus difficiles à diagnostiquer, donc moins bien pris en charge », a-t-il constaté, parlant de « véritable génocide volontaire ».
Le Pr Lagrue souligne que la dépendance au tabac n'est pas seulement une affaire de volonté et la compare à l'héroïnomanie. Il évoque ces patients qui souffrent de lésions précancéreuses ou de BPCO, incapables dans 80 % des cas de s'arrêter de fumer, bien qu'ils soient parfaitement conscients du danger, ou encore ces victimes d'accidents coronariens, « qui arrêtent tous de fumer après l'infarctus, et recommencent dans la moitié des cas trois à six mois plus tard... ». Déplorant le manque de formation médicale en tabacologie - tout comme en alcoologie -, Gilbert Lagrue estime qu'à l'avenir ce seront les généralistes qui devront diagnostiquer et prendre en charge cette dépendance.
Pour une recherche en tabacologie
La remise du prix a été l'occasion pour le Pr Lagrue de s'exprimer sur les augmentations du prix du tabac, qui pénaliseraient « de façon inique » les plus gros fumeurs (en général les moins favorisés, qui utilisent la cigarette comme anxiolytique), mais seraient bénéfiques à long terme par leur effet dissuasif sur les jeunes et les moins dépendants. « Mais le plus ennuyeux, ajoute-t-il, c'est qu'elles donnent bonne conscience aux responsables politiques, qui oublient de renforcer les consultations de tabacologie, de former les professionnels de santé ou de développer la recherche. »
Un credo repris par le Pr Jean-Pierre Changeux, pour qui « on a un peu tendance, dans la recherche médicale, à oublier la recherche fondamentale ». Estimant que le tabagisme correspond à une « vraie pathologie », avec un important taux de rechute et des conduites addictives, il a rappelé que la recherche pouvait aboutir à de nouvelles thérapies. « Avec la nicotine et ses dérivés, dont les études permettent de découvrir les effets sur la mémoire, les fonctions cognitives, l'attention, s'ouvre une nouvelle pharmacologie », a-t-il affirmé, en évoquant de futurs stimulants cognitifs (lutte contre la maladie d'Alzheimer), des anxiolytiques, voire des analgésiques. Des développements intéressants, rendus possibles par la collaboration entre praticiens de terrain et chercheurs fondamentalistes. Une fois n'est pas coutume.
Repères
@ Parmi les Français âgés de 15 ans et plus :
- plus d'un quart déclare fumer quotidiennement, dont les deux tiers (9 millions de personnes) disent fumer 10 cigarettes ou plus par jour ;
- parmi ces 9 millions, 5,3 millions présentent des signes de dépendances identifiés par le test de Fagerström ;
- plus de la moitié des fumeurs ont moins de 25 ans.
@ Depuis le plan Kouchner en 2000, 400 consultations de tabacologie ont été créées, répertoriées sur le site de l'Office français de prévention du tabagisme (OFT) : //oft.spim.jussieu.fr/index.php.
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