L'art pour témoin
La « Naissance de la Vierge » n'est qu'un des éléments de la série en vingt tableaux sur bois de Dürer, intitulée « La vie de la Vierge ». Dürer situe Sainte-Anne - la mère - et la Vierge Marie - le bébé - dans une chambre germanique typique de son époque, c'est-à-dire au début du XVIe siècle. Sur ce tableau, le personnage central n'est ni le bébé ni la mère mais la sage-femme, placée juste devant la signature de l'artiste (AD).
Sainte-Anne, à l'arrière plan, a déjà accouché. Elle est maintenue assise dans un lit, à l'aide d'oreillers et de couvertures, épuisée par l'épreuve, refusant toute nourriture et toute boisson (probablement du bouillon ou du vin, qui étaient censés nourrir l'utérus et réparer le sang).
Sommeil interdit
A l'époque, les accouchées étaient lavées, garnies et gardées au lit pendant plusieurs jours. Immédiatement après la naissance, elles n'étaient pas autorisées à dormir en raison du risque hémorragique, et on les tenait éveillées en parlant à côté d'elles. Sur la gravure de Dürer, la chambre est remplie de membres de la famille et d'amis. Au premier plan, une femme baigne le nouveau-né pendant que la sage-femme, son travail fait, boit à même un pichet. On note au passage la similitude de forme entre le pichet et un utérus ; la sage-femme vide le pichet après avoir vidé l'utérus. Elle a à la ceinture un couteau dans un fourreau, objet essentiel pour son métier. A côté d'elle, sur un coffre, une paire de ciseaux. Ces « outils » lui servent à rompre la poche des eaux si cela est nécessaire et à couper le cordon, lequel est ensuite enroulé autour de l'enfant, selon l'usage de l'époque. Elle a probablement été aidée par la femme qui offre à manger à Sainte-Anne, laquelle, elle aussi, porte un couteau à la ceinture. En haut, un ange, dont la présence rappelle que nous assistons à la naissance de la mère du Christ.
Les hommes exclus
A la Renaissance, en Europe, les hommes étaient exclus des chambres d'accouchement. Il est donc improbable que Dürer ait pu voir des sages-femmes à l'uvre. « La Naissance de la Vierge » peut, certes, être le fruit de son imagination. Pourtant, la scène correspond aux descriptions que l'on a du métier de sage-femme de l'époque. Dürer n'a jamais été père (son mariage avec Agnès Frey fut sans postérité). Mais, il était présent chez lui à la naissance de ses 14 frères et surs. Il a aussi dû avoir accès à la littérature sur les accouchements.
On avait à l'époque largement accepté comme réalités la Vierge Marie et les saintes guérisseuses - dont Sainte Margaret, pour les naissances ; ce qui peut expliquer que les médecins femmes n'étaient pas rares dans l'Europe médiévale.
Des femmes-médecins aux sages-femmes
Un des textes standard sur l'obstétrique, Trotula, peut d'ailleurs avoir été écrit au XIe siècle par une femme de l'Ecole de médecine de Salerne. De nombreuses femmes-médecins sont répertoriées à Francfort, Strasbourg et Hildesheim. Cela, jusqu'au XVe siècle, quand les femmes furent progressivement exclues des nouvelles facultés de médecine des plus grandes universités d'Europe. Quelques villes - excepté Nuremberg - leur ont interdit l'exercice de la médecine. Toutefois, on les autorisait à exercer le métier de sage-femme.
Les archives de Nuremberg regorgent d'informations sur les sages-femmes.
Dans « La Naissance de la Vierge », les sages-femmes apparaissent d'un âge mûr et bien habillées. De fait, selon les archives de Nuremberg, la meilleure candidate sage-femme est une femme mariée, au caractère affirmé, ayant déjà elle-même accouché et élevé des enfants. Elle jouit du respect de la société parce que ses devoirs sont liés à la fois à la médecine et au clergé, qui peut faire appel à elle pour des baptêmes urgents. En 1463, un comité de femmes aristocratiques de Nuremberg examine les candidates au métier de sage-femme. L'apprentissage dure entre un et cinq ans. Période pendant laquelle une élève accompagne une sage-femme expérimentée. Elle est jugée sur ses connaissances pratiques et théoriques par un jury parfois assisté de médecins. En cas de succès, elle prête serment.
Très mal payée
Une sage-femme accouche à domicile. Elle aide les plus pauvres. Elle est très mal payée : entre 2 et 8 gulden (contre 10 à 25 pour un barbier chirurgien), ce qui est comparable à ce que perçoivent les femmes exerçant dans les hôpitaux. Pour améliorer l'ordinaire, elle peut faire des accouchements privés.
Avant l'an 1500, peu de sages-femmes savent lire, et encore moins ont accès aux publications sur le métier de sage-femme. Au milieu du XVIe siècle, la ville de Nuremberg exige de ses sages-femmes qu'elles lisent les manuels sur l'anatomie féminine et les actes d'accouchement.
Accouchement à domicile
Pourquoi Dürer a-t-il situé « La Naissance de la vierge » dans la chambre d'une maison ? A l'époque, les femmes étaient encouragées à accoucher chez elles. On calfeutrait les portes et les fenêtres, non seulement pour éviter les courants d'air et garder la chaleur mais aussi pour empêcher les mauvais esprits (qui pourraient nuire à la mère ou à l'enfant) d'entrer. Chez Dürer, l'accouchement a pu avoir lieu à même le sol, sur de la paille qui a ensuite été brûlée. On ne voit en tout cas pas de chaise de naissance semi-circulaire, apparue à peu près à la même époque en Italie, et la naissance au lit n'est apparue qu'à la fin du XVIe siècle.
« Lancet » du 13 octobre 2001, pp. 1265-1267.
Très mal payée
Une sage-femme accouche à domicile. Elle aide les plus pauvres. Elle est très mal payée : entre 2 et 8 gulden (contre 10 à 25 pour un barbier-chirurgien), ce qui est comparable à ce que perçoivent les fem-mes exerçant dans les hôpitaux. Pour améliorer l'ordinaire, elle peut faire des accouchements privés.
Avant l'an 1500, peu de sages-femmes savent lire, et encore moins ont accès aux publications sur le métier de sage-femme. Au milieu du XVIe siècle, la ville de Nuremberg exige de ses sages-fem-mes qu'elles lisent les manuels sur l'anatomie féminine et les actes d'accouchement.
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