La pratique n'a rien de nouveau. Pierre Bérégovoy, Simone Veil... y ont recouru en leur temps. Quand il n'y a plus d'argent dans les caisses du régime de base de l'assurance-maladie, quand l'Etat peine à trouver de l'argent neuf pour alimenter le système, il est tentant de se délester sur d'autres d'une partie des dépenses jusque-là prises en charge par la Sécurité sociale. D'autres ? Les Français et/ou leur assureur complémentaire, quand ils en ont un (1).
Au menu en 2003, une nouvelle fois resservie en 2004 (voir encadré), la recette prend ces derniers temps et pour trois raisons un goût particulier.
D'abord, parce qu'elle n'est pas sans conséquence sur la philosophie du système de protection sociale. Sans concertation, sans explication, et alors que le débat va être extrêmement difficile à trancher, les pouvoirs publics, par les domaines d'intervention qu'ils ont décidé de céder aux complémentaires, organisent deux zones d'intervention bien distinctes. La tendance, pour caricaturer, est que les malades lourds relèvent du régime de base et les autres, des complémentaires. Le mouvement, tout ce qu'il y a de plus officieux, évite les discussions passionnées que provoque habituellement la seule mention d'un partage gros risque/petit risque.
Des transferts très lourds
Ensuite, ainsi que le dit Jean-Pierre Davant, le président de la Mutualité française (FNMF, qui représente à elle seule près des deux tiers des organismes complémentaires), l'opération se fait à une échelle « sans précédent » ; dans le seul projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2004, c'est de près de 1 milliard d'euros que l'Etat se déchargerait sur les assurés via leurs mutuelles, assurances ou instituts de prévoyance. Même réparti entre les différents organismes, ce milliard pèse lourd. « Les sommes en jeu sont énormes », confirme Roland Berthilier, secrétaire adjoint à la présidence de la MGEN, qui calcule que, avant même que les effets du PLFSS se fassent sentir, les transferts décidés au cours des derniers mois ( via la réforme de la visite ou les déremboursements partiels de Pâques...) ont coûté à son entreprise « pas loin de 40 millions d'euros ».
Enfin, l'opération se fait dans un contexte inédit, alors qu'il paraît à peu près certain que, entre autres choses, la prochaine réforme de l'assurance-maladie élargira le domaine d'intervention des régimes complémentaires tout en leur donnant un pouvoir de décision qu'ils n'ont pas aujourd'hui (une idée qui emballe l'Elysée et le ministère des Finances). Sur cette toile de fond, la hausse du forfait hospitalier, le déremboursement partiel de médicaments homéopathiques... manquent évidemment d'élégance et font un peu figure d'ultime coup de poignard dans le dos des organismes complémentaires, « instruments croupions du financement de l'assurance-maladie », ironise un expert.
Subissant déjà, tout comme le régime général, mais sans aucun moyen de réagir, la hausse galopante des dépenses de santé, les complémentaires encaissent un choc violent. Et, dans leurs murs, les calculettes cliquètent. Car les comptes sont compliqués, l'impact financier de telle ou telle mesure dépendant du profil des adhérents et du type de contrat proposé. « Mesurer le phénomène n'a rien d'évident, il faut une analyse fine », indique-t-on au Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP). La Mutualité estime grosso modo que les charges des mutuelles vont, sous l'effet des transferts, augmenter de 6 à 8 %.
Face à l'ampleur du phénomène, les complémentaires n'ont d'autre solution que d'augmenter leurs cotisations ou leurs primes. Certains ont déjà annoncé la couleur. Pour les AGF, c'est + 3 % sur les contrats santé depuis le 1er octobre. La MGEN avait revu ses tarifs à la hausse dès le mois de juillet, mais les nouvelles mesures déséquilibrent déjà la balance, explique-t-on. Chez AXA, où rien n'est arrêté, la tendance est à une hausse des tarifs de « 7 % pour les contrats individuels » et de « 10 % pour les contrats collectifs ».
Les Français vont payer
Les ménages, à qui la Sécurité sociale a voulu épargner une hausse de la CSG, vont donc payer (pour être précis, ils vont soit payer plus pour une couverture inchangée, soit payer autant pour une couverture rétrécie). L'addition va s'alourdir sensiblement pour les Français qui souscrivent individuellement une assurance santé complémentaire ; un peu moins pour ceux qui, via leur entreprise, bénéficient d'un contrat collectif. Mais la différence sera bel et bien visible au bas de leur fiche de paie.
Cette situation illustre ce qui risque d'arriver dans le cadre de la future réforme de l'assurance-maladie, avec un transfert de charges du régime obligatoire vers le régime complémentaire, certes négocié et mieux organisé, mais de plus grande envergure. Car si tous les acteurs arrivent à s'entendre au cours des prochains mois sur les futures défausses du régime général vers les complémentaires, c'est bien qu'ils penseront que, globalement, la mesure permettra à l'assurance-maladie de coûter moins cher. Or les exemples étrangers (en Suisse, aux Pays-Bas ou aux Etats-Unis) ne tendent pas à prouver que ce genre de partage des tâches accroît sensiblement l'efficience du système. La concurrence, en matière d'assurance-maladie, ne réduit pas de manière spectaculaire les coûts de l'offre de soins. Pour remplir cet objectif, il n'y a pas d'autre choix que celui qui se présente aujourd'hui aux complémentaires : faire payer les malades plus cher ou renoncer à financer un certain nombre de prestations.
(1) 8 % des Français n'ont pas aujourd'hui de couverture complémentaire.
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