Les résultats d'une enquête française

La mortalité anesthésique a été divisée par 10 en vingt ans

Publié le 22/02/2007
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L'ANESTHÉSIE est souvent considérée comme une activité à risque de complications graves. Pourtant, l'enquête de la Société française d'anesthésie-réanimation (Sfar) et de l'Inserm publiée dans « Anesthesiology » (1) montre que la mortalité anesthésique a été divisée par 10 en France métropolitaine en moins de vingt ans. Une première enquête prospective réalisée entre 1978 et 1982 (2) avait estimé le taux de décès totalement imputables à l'anesthésie à 1/13 200 anesthésies, et celui des décès partiellement liés à l'anesthésie à 1/3 800.

Le décret de 1994.

La principale cause retrouvée à l'époque était le défaut d'oxygénation pendant ou après l'anesthésie. Le nombre des décès par arrêt respiratoire au réveil était estimé à environ 100 par an, première cause de mortalité anesthésique pour les patients jeunes et en bonne santé.

En conséquence, une réglementation des pratiques a été mise en oeuvre avec le soutien des professionnels de la spécialité et a conduit à un décret sur la sécurité anesthésique publié en 1994 imposant la consultation d'anesthésie, la surveillance per- anesthésique de l'oxygénation et du gaz carbonique expiré, les procédures de vérification et de maintenance du matériel et une surveillance systématique et obligatoire des patients après l'intervention dans une salle spécifique (salle de surveillance postinterventionnelle, Sspi). Depuis cette époque, aucune étude d'envergure n'avait fait le point sur l'impact de ces mesures. L'enquête de la Sfar réalisée en 1999 avait donc un double objectif : mesurer les progrès réalisés et les problèmes persistants, cibler les actions à mener dans le futur. Elle a inclus 4 200 certificats de décès comportant un lien avec l'anesthésie, la chirurgie, l'obstétrique ou un traumatisme et tirés au sort parmi les 537 459 certificats de décès de l'année 1999 en France métropolitaine. Lorsque la lecture du certificat ne permettait pas d'exclure tout rôle de l'anesthésie ou de la chirurgie dans le décès, un questionnaire succinct était envoyé au médecin ayant rempli le certificat (97 % ont répondu). A partir de ces réponses, si le rôle de l'anesthésie ne pouvait pas être exclu, il était proposé à l'anesthésiste-réanimateur connaissant le mieux le dossier de recevoir un confrère mandaté par la Sfar pour remplir un questionnaire détaillé et rendu anonyme (97 % ont répondu favorablement). Enfin, un groupe d'experts a déterminé le mécanisme de l'accident, le degré d'imputabilité à l'anesthésie, les écarts par rapport aux recommandations professionnelles et, enfin, a recherché l'existence de facteurs favorisants. L'activité au bloc opératoire, l'évaluation préopératoire (consultation anesthésique), les soins postopératoires étaient inclus dans l'analyse. En 1999, les taux annuels de mortalité étaient de 1 décès/145 000 anesthésies pour les décès totalement imputables à l'anesthésie et 1/21 000 pour les décès partiellement imputables à l'anesthésie. Dans la même période, le nombre annuel d'anesthésies est passé de 3,8 millions en 1980 à près de 8 millions et le nombre de personnes anesthésiées présentant un terrain très pathologique a été multiplié par 7. Les événements aboutissant aux décès survenaient pour 12 % au cours de l'induction anesthésique, pour 26 % lors de la période d'entretien de l'anesthésie, pour 22 % en Sspi et pour 40 % après avoir quitté la Sspi. De plus, les causes de ces décès ont notablement changé depuis 1980 : l'hypoxémie postopératoire n'est plus retrouvée en 1999, ce qui souligne les effets bénéfiques du décret de 1994.

Insuffisance coronaire par anémie, hypovolémie, inhalation de liquide gastrique.

En revanche, l'insuffisance coronarienne périopératoire due à une anémie, l'hypovolémie absolue ou relative et l'inhalation de liquide gastrique sont les trois principales causes des décès et s'expliquent pour les experts, par une surveillance inadaptée de l'hémoglobine et/ou des seuils de transfusion trop bas et le manque de respect des procédures anesthésiques recommandées chez les patients considérés comme n'étant pas à jeun. D'une façon plus générale, ces déviations des pratiques par rapport aux recommandations professionnelles semblent fréquentes. Dans 56 % des cas, les experts ont constaté plus de 4 déviations. Toutefois, l'analyse des causes et des facteurs favorisants montre que, si des erreurs individuelles existent dans 50 % des cas, des déficiences relatives à l'organisation du travail sont retrouvées dans 91 % des décès : la programmation des interventions, l'absence de communication entre les praticiens et l'inadéquation entre les besoins et les ressources (humaines, technique ou logistique) sont les facteurs les plus fréquemment rencontrés.

(1) Lienhart A. « Anesthesiology », 105 : 1087-1097, 2006.
(2) Tiret L. « Can Anaesth Soc J », 33 : 336-344, 1986.

> Dr STEPHANE MOUREN

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8112