PAR LE Dr MARIE-PIERRE BONNET ET LE Pr FREDERIC J. MERCIER*
LA CÉSARIENNE est réalisée de nos jours dans la très grande majorité des cas sous anesthésie locorégionale ; les voies intrathécale et péridurale seront donc également privilégiées dans le même temps pour initier l'analgésie postopératoire. Ces voies d'administration de la morphine sont utilisées depuis plus de trente ans en obstétrique et leur efficacité analgésique est bien établie. La morphine injectée par voie neuraxiale procure une analgésie de plus longue durée que les morphiniques liposolubles et permet de couvrir la première journée postopératoire. L'administration de morphine par voie intrathécale constitue le « gold standard » après césarienne programmée, alors que la voie péridurale trouve sa place principalement dans la prise en charge de l'analgésie après césarienne réalisée en cours de travail. Cependant, l'administration de morphine neuraxiale s'accompagne d'effets secondaires très fréquents, mais bénins, à type de prurit et de nausées et/ou vomissements postopératoires (NVPO). Dans le cas de la morphine intrathécale, les risques de prurit et de nausées et vomissements postopératoires sont corrélés de manière linéaire avec la dose injectée, alors que pour la morphine péridurale les risques de prurit et de NVPO sont également augmentés, mais sans relation nette avec la dose. En termes de rapport bénéfice/risque, l'utilisation de 100 µg de morphine intrathécale et de 3,75 mg de morphine péridurale semble représenter le dosage optimal dans les études se limitant aux monothérapies. Cependant, les doses de morphine neuraxiale peuvent être diminuées, tout en conservant la même efficacité analgésique, grâce à leur association à un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) dans le cadre d'une analgésie multimodale. Des doses de morphine de 75 µg en intrathécal et de 2 mg seulement en péridural, associées aux AINS, sont efficaces sur la douleur après césarienne. De plus, cette analgésie multimodale permet de diminuer, voire d'abolir, le recours par voie systémique à des analgésiques supplémentaires, notamment morphiniques.
Néanmoins, le risque de dépression respiratoire secondaire à l'administration de morphine par voie neuraxiale entraîne parfois quelques réticences à son utilisation. Pour la morphine par voie intrathécale, les doses inférieures ou égales à 100 µg peuvent être employées sans crainte, dès lors qu'il n'existe pas de facteurs de risque patents (obésité essentiellement). Pour la morphine péridurale, une série rétrospective a trouvé une incidence de dépression respiratoire de 0,25 % après l'utilisation de 4 ou 5 mg de morphine péridurale après césarienne. Les auteurs recommandaient donc un monitorage horaire de la fréquence respiratoire durant les 24 premières heures postopératoires, ce qui est clairement illusoire en dehors d'une structure spécifique de type soins continus ou intensifs.
Lorsque la technique de rachianesthésie-péridurale combinée est utilisée pour l'anesthésie de la césarienne programmée, les deux voies d'administration neuraxiales sont alors disponibles. La morphine intrathécale à la dose de 100 µg offre une qualité d'analgésie légèrement inférieure à 3 mg de morphine péridurale, mais provoque mois d'effets secondaires. Finalement, le choix dépendra de la place donnée à l'analgésie par rapport aux effets secondaires. Il faut cependant reconnaître que la morphine intrathécale (de 75 à 100 µg) permet, contrairement à la morphine péridurale (3 mg), de se dispenser plus volontiers du monitorage rapproché de la fréquence respiratoire et paraît donc à privilégier.
La morphine encapsulée.
Actuellement, une nouvelle formulation est en cours de développement : la morphine encapsulée, commercialisée aux Etats-Unis sous le nom de DepoDur. Cette forme galénique permet d'augmenter la demi-vie de la morphine injectée par voie péridurale et offre ainsi une analgésie de plus longue durée, en particulier en couvrant le deuxième jour postopératoire. Cependant, une interaction physico-chimique avec les anesthésiques locaux ainsi qu'un risque accru de dépression respiratoire en limitent son utilisation. DepoDur n'est pas commercialisé actuellement en France.
La morphine systémique est une alternative de moins bonne qualité à l'utilisation de morphine neuraxiale après césarienne, même si cette technique procure chez les parturientes des scores de satisfaction très élevés lorsqu'elle est administrée par PCA intraveineuse. Enfin, la morphine par voie orale a été très peu étudiée après césarienne. Sa pharmacocinétique semble malheureusement peu favorable dans ce contexte postopératoire après césarienne, avec une absorption et une biodisponibilité diminuées du fait de l'iléus et des NVPO, ainsi qu'un délai d'action trop prolongé. Par ailleurs, sa compatibilité avec l'allaitement n'a pas été étudiée.
Pour conclure, dans le cadre de l'analgésie après césarienne, la morphine doit être utilisée de manière privilégiée par voie neuraxiale et en association systématique aux AINS en l'absence de contre-indication. Les doses recommandées sont de 75 à 100 µg pour la morphine intrathécale et de 2 à 3 mg pour la morphine péridurale, avec un monitorage rapproché de la fréquence respiratoire pour la seconde technique, en particulier pour des doses supérieures à 2 mg. Les effets secondaires, fréquents, à type de prurit et de NVPO devront être prévenus et traités. Enfin, la morphine systémique ne constitue qu'une alternative de moindre qualité à l'administration de morphine par voie neuraxiale après césarienne.
* Département d'anesthésie-réanimation, hôpital Antoine-Béclère, Clamart, faculté de médecine Kremlin-Bicêtre, université Paris-Sud.
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