Sophie P. a perdu 12 ans de sa vie et 238 000 euros. Bernard T. a dilapidé 750 000 euros en 22 ans. Au-delà de ces sommes faramineuses, ce sont leurs proches, famille, conjoint ou amis, qu’ils ont failli ne jamais retrouver. En cause ? Un homme et une méthode. Benoît Yang-Ting, aujourd’hui 76 ans, se présente comme un psychothérapeute ; un gourou selon ses accusateurs, qui pratiquait la méthode des faux souvenirs induits. Son procès (ainsi que celui de sa femme, 62 ans) pour abus de faiblesse se tient ces mardi et mercredi devant la 13e chambre du tribunal correctionnel de Paris.
« Le principe de la thérapie, c’était des sessions de 3 à 5 semaines, 6 à 8 heures par jour, 7 jours sur 7, que vous passiez allongé nu sur un divan, soi-disant à revivre des souffrances passées. Vous mangez le minimum, vous dormez 3, 4, 5 heures et vous passez la nuit de veille à rechercher des images de votre passé. On finit par vous mettre dans la tête que vos parents ne vous ont jamais aimé, que votre père vous a violé », a expliqué Sophie devant les jurés, décrivant une « vie entre parenthèses » à partir de ses 25 ans. Elle évoque également l’obsession de l’argent du couple Yang-Ting et l’appétence sexuelle du pseudo-thérapeuthe, qui en a fait « son objet sexuel ». Aujourd’hui, la jeune femme devenue avocate ne veut pas tant récupérer son argent que « provoquer un déclic chez les autres ». Quatre personnes, toujours sous l’emprise du gourou, témoignent en faveur du couple.
La défense tente d’assimiler les accusations à un conflit d’honoraires, et souligne que son client a bénéficié d’un non-lieu sur la « constitution de secte ». Mais le parquet a reconnu mardi qu’il y avait dans le dossier « beaucoup d’éléments qui ressemblent à de nombreux égards à une secte ».
Sectes, dérives.
Qu’est-ce qu’une secte ? Où la déviance devient-elle dérive sectaire ? Alors que le procès des Yang-Ting ne peut ignorer cette question (d’apparence lexicale) majeure, La MIVILUDES publie un nouveau guide pratique « Santé et dérives sectaires ».
La définition que la mission dresse du phénomène sectaire est extrêmement large, comprenant déstabilisation mentale, exigences financières exorbitantes, rupture avec l’environnement, embrigadement des enfants, discours antisocial, troubles à l’ordre public, tentatives d’infiltration des pouvoirs publics, démêlés judiciaires... À cet aune, son président Georges Fenech voit des liaisons très dangereuses entre le monde de la santé et les dérives sectaires. « Les promesses et recettes de guérison, de bien-être et de développement personnel sont au cœur des pratiques à risque de dérives sectaires », écrit-il dans sa préface au guide de 200 pages. Selon la MIVILUDES, 3 000 médecins seraient en lien avec la mouvance sectaire, 4 000 « psychothérapeutes » autoproclamés n’ont suivi aucune formation et ne sont inscrits sur aucun registre, et les dérives sectaires dans le domaine de la santé représentent près de 25 % de l’ensemble des signalements reçus à la MIVILUDES.
Le guide de la mission s’adresse donc doublement au monde de la santé : à la fois pour aider les professionnels de santé (médecins, dentiste, sage-femme, pharmacien, infirmier...) à repérer un patient membre d’un groupe sectaire et à agir face à un confrère engagé dans un mouvement déviant.
La MIVILUDES rappelle à cette occasion les méthodes les plus répandues (psychologisantes, décodage biologique, faux souvenirs induits, kinésiologie, énergiologie...) et détaille les symptômes alarmants et les situations à risque. Au médecin, le guide conseille d’alerter son conseil départemental ou son agence régionale de santé, dotés d’un référent dérives sectaires. Il décrit aussi la marche à suivre en cas de mise en danger du patient, de refus de soin, ou de refus de toute couverture vaccinale.
Guide « Santé et dérives sectaires », Documentation française, 18 euros, ou en ligne sur le nouveau site de la MIVILUDES.
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