L'APOPTOSE, ou mort cellulaire programmée, est l'un des mécanismes par lesquels les traitements chimiothérapiques détruisent les cellules cancéreuses. Cette apoptose existe à l'état physiologique chez le sujet sain. En effet, elle équilibre le phénomène de division cellulaire. La mort cellulaire programmée apparaît ainsi comme un phénomène indispensable à la survie, comme le soulignait un éditorial de la revue «Médecine/Science» en août-septembre 2002. Elle est également l'objet de travaux de recherche très nombreux. Les données publiées suggèrent globalement qu'il est possible de rechercher les analogies entre le cycle cellulaire et l'apoptose. En effet, le bon déroulement du cycle cellulaire suppose l'activation séquentielle de molécules de signalisation. Si l'une quelconque des étapes de la séquence est imparfaite, la cellule active des contrôles situés en des points précis (« checkpoint »), ce qui arrête le processus du cycle cellulaire. De la même manière, l'apoptose programme une mort cellulaire, notamment caractérisée par des spécificités morphologiques. La taille de la cellule diminue et elle devient compacte, avec condensation de la chromatine. L'apoptose est ainsi morphologiquement très différente de la nécrose, qui détruit les organites mais conserve la forme générale de la cellule, aboutissant à un fantôme. Les modifications induites au cours de l'apoptose sont déterminées par l'action de protéases d'un type particulier agissant au niveau de l'aspartate, les caspases. Le déclenchement de cette cascade d'enzymes protéolytiques constitue l'une des signatures des événements conduisant à l'autolyse par apoptose.
Toutefois, l'activation des caspases ne constitue pas le point de départ de l'apoptose chez les mammifères. Ces enzymes participent en fait à la destruction de la cellule, dont la mort a déjà été programmée. L'apoptose peut en effet être déclenchée par de nombreux signaux, mais tous convergent vers une voie finale commune qui constitue un point de non-retour. Celle-ci est située au niveau de la mitochondrie. La membrane externe de cet organite devient alors perméable. Cela conduit à la libération dans le cytoplasme de composés normalement situés entre les deux couches membranaires de la mitochondrie. Il en va ainsi du cytochrome c et du facteur inducteur d'apoptose, ou AIF. La perméabilisation de la membrane mitochondriale externe déclenche alors la mort cellulaire de trois manières différentes. Le premier moyen utilisé par les mitochondries est la libération de molécules qui activent les caspases, lesquelles orchestrent les phénomènes constatés lors de l'apoptose. Le second facteur mitochondrial est la libération de molécules impliquées dans l'apoptose dite indépendante des caspases. Le troisième est la perte de fonction des mitochondries, qui sont indispensables à la survie de la cellule.
La mitochondrie, intégrateur et « exécuteur » de l'apoptose.
Le mécanisme intime de perméabilisation de la membrane mitochondriale externe reste controversé. Toutefois, il est admis que de nombreuses protéines peuvent inhiber ou prévenir l'apoptose par leurs effets au niveau de la membrane de la mitochondrie. Le déclenchement de l'apoptose semble répondre à deux mécanismes différents, qui sont mis en œuvre par la cellule dans des circonstances distinctes. Le premier mécanisme est la perméabilisation de la membrane mitochondriale interne, alors que par le second mécanisme, des protéines régulatrices de l'apoptose de la famille Bcl-2, agissent directement sur la membrane externe de l'organite.
La perméabilisation de la membrane mitochondriale interne s'effectue par l'ouverture d'un pore de grande taille qui laisse passer l'eau et des molécules, atteignant 1,5 kilodalton. Les modèles décrivant ce pore postulent que l'action sur la membrane interne s'effectue sous celle d'un transporteur d'adénine, alors que des canaux anioniques voltage-dépendants s'ouvrent au niveau de la membrane externe. Ces phénomènes déclenchent une dissipation du potentiel électrique intramembranaire et un œdème de la matrice mitochondriale. La détection directe de ces phénomènes est évidemment difficile dans la cellule vivante et demande une approche biophysique.
Le second mécanisme de l'apoptose fait appel à des protéines régulatrices de l'apoptose de la famille Bcl-2. Celles-ci agissent directement sur la membrane externe de la mitochondrie. Certaines, comme la protéine Bcl-2 et celles qui, comme elle, possèdent en commun 4 régions homologues BH1 à BH4, sont anti-apoptotiques. Elles sont situées dans la mitochondrie elle-même, dont elles stabilisent la membrane. D'autres protéines de cette famille qui ne possèdent pas la région BH4, comme les protéines Bax, Bad ou Puma par exemple, sont pro-apoptotiques. Pendant l'apoptose, ces protéines peuvent subir une translocation depuis le cytosol vers la membrane externe de la mitochondrie et la rendre perméable. Ces translocations sont activées par des phénomènes divers, comme l'action du facteur de transcription p53 pour les protéines apoptotiques Bax, NoxA et Puma, la déphosphorylation pour la protéine Bad ou l'hypoxie pour les protéines Bak et Bnip 3.
Des opportunités thérapeutiques potentielles. La perméabilisation de la membrane mitochondriale apparaît ainsi comme « l'exécuteur » de l'apoptose, mais aussi la mitochondrie organite, intégrateur des différents signaux de mort. Il apparaît que les cellules cancéreuses sont dotées de mitochondries altérées. Ces altérations contribuent à la résistance à l'apoptose. Il est du reste connu, depuis 1930, que le métabolisme de la cellule cancéreuse est différent de celui de la cellule normale. Ces particularités métaboliques, comme l'excès de glycolyse et le déficit en phosphorylation, sont mises à profit pour la détection in vivo des tumeurs par tomographie, par émission de positons.
Par ailleurs, la chimiothérapie anticancéreuse peut induire l'expression de récepteurs de mort ou de leurs ligands et ainsi activer l'apoptose déclenchée par les protéines de la famille Bcl-2. Il est donc particulièrement important de mieux comprendre le rôle précis des mitochondries dans l'apoptose, en particulier pour mettre au point des molécules cytotoxiques qui la ciblent. Certains de ces cytotoxiques ont pour cible la famille des protéines Bcl-2 et pourraient induire l'apoptose des cellules tumorales. D'autres molécules sont en cours de développement afin de bloquer la région BH3 de ces protéines et entraver leur hétérodimérisation. L'antimycine A ou le HA-14-1 sont des molécules prototypes agissant sur des protéines de la famille Bcl-2. Elles sont donc capables de perméabiliser la membrane mitochondriale et d'induire l'apoptose des cellules cancéreuses. De nombreuses autres voies apparaissent envisageables et constituent autant de possibilités thérapeutiques potentielles chez les malades dont la tumeur est devenue résistante aux traitements conventionnels.
D'après un entretien avec le Dr. Guido Kroemer, Institut Gustave-Roussy, Villejuif.
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