LE 5 JUIN prochain, Noël Mamère, député Vert, mariera, officieusement, deux homosexuels à la mairie de Bègles (Gironde), dont il est le maire. Cinq ans et demi après l'adoption du Pacte civil de solidarité (Pacs), cette initiative donne lieu à une vaste polémique dans le monde politique. Le Parti socialiste annonce le dépôt, « sans doute à l'automne », d'une proposition de loi instaurant un mariage civil, quel que soit le sexe des contractants. « Toute société doit être organisée sur le principe de l'égalité des droits et des devoirs. Par conséquent, le mariage doit être ouvert à tous », affirme le premier secrétaire, François Hollande. Le député de Paris Patrick Bloche, ex-rapporteur de la loi sur le Pacs, animerait un groupe de travail sur le sujet. Dans un sondage Ifop pour le magazine « Elle », 64 % des Français se prononcent pour le mariage homosexuel. Près de 49 % anticipent même les retombées d'une modification législative en se déclarant favorables à l'adoption des enfants pour les couples homosexuels, alors que 51 % sont en faveur de l'insémination artificielle pour les lesbiennes.
A l'Assemblée nationale, le président du groupe UMP, le Dr Bernard Accoyer, est hostile à l'adoption, comme l'UDF. De son côté, le porte-parole du gouvernement, Jean-François Copé, fait savoir que l'équipe Raffarin travaille « aux améliorations susceptibles d'être apportées au Pacs, sans esprit partisan », avec « pour priorité le respect du droit des personnes ».
Le rôle structurant du droit civil.
Que signifie l'événement annoncé à Bègles ? Pour le Dr François Danet, 36 ans, père de 2 enfants, psychiatre aux urgences de l'hôpital Edouard-Herriot de Lyon, « la société est de moins en moins instituée par des repères religieux, politiques, philosophiques et juridiques. Le droit, explique le praticien, par ailleurs médecin légiste, a évolué en trois temps : divin jusqu'au XIIe siècle, puis monarchique d'inspiration divine et laïque d'inspiration philosophique. » Au XIXe, il s'appuie, pour l'essentiel, sur Montesquieu et Rousseau. « Le droit laïque, qui nous régit, ne sert pas seulement à réguler les relations sociales entre les gens (procès, contrats) ; il permet de faire en sorte que les citoyens s'intéressent à certaines valeurs : avec le droit pénal, nous sommes dans le domaine de l'interdit ; avec le droit civil, dans celui de l'intériorisation, de la différenciation générationnelle et sexuelle. Ainsi, la loi sur la majorité constitue une injonction implicite faite aux enfants de se séparer de leurs parents, psychiquement et dans la réalité. »
Si, dans le passé, la religion était un guide de vie, ce rôle est désormais tenu par le droit qui ouvre des pistes.
Bien entendu, le droit peut être modifié. Encore faut-il en débattre avant, estime le médecin lyonnais. Selon lui, conférer un droit au mariage homosexuel supprimerait « une des fonctions du droit civil qui consiste à dispenser des ordres, de manière non formulée, en termes de différenciation sexuelle ». Forts de cette analyse du problème, « les éducateurs et assistants sociaux, majoritairement de gauche, rejettent le Pacs, car il déstabilise leurs relations avec les mineurs en difficulté, en disqualifiant le rôle structurant du droit civil. Du point de vue des mœurs, les intervenants sociaux sont traditionnels », commente le Dr François Danet.
Dépasser l'accès à un droit et l'homophobie.
« Dans tous les cas, estime-t-il , un débat sur la fonction du droit civil et pénal, au-delà de la simple question du mariage homosexuel, est indispensable. La dimension philosophique du droit doit être soulevée, afin d'aborder des sujets comme la protection de l'enfance en danger ou la délinquance. »
Selon lui, deux positions contestables doivent être dépassées. « La première vise à réduire le sujet à l'accès à un droit, comme le font Noël Mamère et Dominique Strauss-Kahn. La seconde se résume à l'affirmation : "Les homosexuels sont incapables d'élever des enfants."Plutôt que de renvoyer dos à dos le militantisme prohomosexuel (toujours plus de droits) et une espèce d'anthropologie homophobe, en quelque sorte, mieux vaut parler de la fonction du droit civil. » Pour illustrer son propos, il donne l'exemple d'une loi structurante : il faudrait interdire aux parents de donner à leurs enfants leurs propres prénoms. Car, dit-il, « on ne peut être dans la confusion avec les enfants. Une loi de différenciation serait des plus utiles ».
La figure emblématique de la différenciation sexuelle.
Qu'en serait-il de l'éducation des enfants au sein d'un mariage homosexuel ? « Un enfant élevé par une mère, par un père, par des grands-parents, dans un orphelinat, ou par des parents du même sexe peut être un enfant heureux. Toutefois, la question ne se pose pas forcément en termes de bonheur. La question se pose de l'émergence du droit à l'adoption pour les couples homosexuels. Or l'homoparentalité restera une forme de parentalité particulière. Un enfant qui a deux parents de sexes opposés a devant lui une image particulière de la différenciation sexuelle. Bien sûr , ajoute-t-il, on peut très bien avoir des parents de sexes différents très déstructurants, maltraitants ou violents, entre eux, par exemple, mais leur déstructuration résulte justement de leur propre indifférenciation. »
Pour le Dr François Danet, « il y a plus grave ». « Je rejoins les éducateurs sociaux, confesse-t-il, pour faire remarquer que tous les professionnels de terrain qui ont un métier institutionnel, ou dont la mission présente un caractère public - qu'il s'agisse de médecins généralistes ou hospitaliers, d'instituteurs ou d'enseignants des collèges et lycées -, risquent d'être déstabilisés dans leur activité si on affaiblit la fonction structurante du droit. » Le risque est que « le caractère structurant de l'Etat et du droit civil soit remplacé par un utilitarisme juridique qui transformerait l'Etat en un simple régulateur social. »
Aux Pays-Bas, en Suède, en Grande-Bretagne, ainsi que dans plusieurs régions autonomes espagnoles ou au Québec, les couples homosexuels ont le droit d'adopter des enfants. La Cour constitutionnelle sud-africaine leur a reconnu également ce droit.
Le débat sur le mariage homosexuel
La mission du médecin serait déstabilisée par l'homoparentalité
Publié le 13/05/2004
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> PHILIPPE ROY
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Source : lequotidiendumedecin.fr: 7541
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