ON CROYAIT l'affaire bouclée : la taxe sur le chiffre d'affaires de l'industrie pharmaceutique fixée dans un premier temps, dans le Plfss 2006, à 1,96 % (contre 0,6 % auparavant) avait été ramenée à 1,5 % par les députés lors de l'examen en première lecture. Une modification qui semblait satisfaire tout le monde et que le gouvernement paraissait accepter. D'autant que les sénateurs avaient donné également, dans un premier temps, le sentiment de se rallier à cette version. Ce que ne confirmait pas l'examen en séance de cet article, puisque les parlementaires de la Haute Assemblée rétablissaient le taux de 1,96 %. A la surprise générale, ou presque.
Durcissement.
Au grand étonnement en tout cas de l'industrie pharmaceutique et de ses dirigeants. Ces derniers ont réagi vigoureusement en dénonçant « l'acharnement fiscal du gouvernement contre le médicaments » qui aura « des conséquences directes sur l'investissement, l'emploi et la santé en France ».
Un discours très dur, rarement entendu du côté des industriels du médicament qui n'ont pas pour habitude de faire des déclarations intempestives.
« Mais cette fois, renchérit un responsable d'une multinationale, c'est la goutte qui a fait déborder le vase et les hostilités sont déclarées. Le divorce est presque consommé. » Bigre.
Du côté du ministre de la Santé, on a laissé entendre que la situation de l'assurance-maladie et des comptes sociaux ne pouvait permettre de se priver de 100 millions d'euros, manque à gagner de l'abaissement de la taxe de 1,96 % à 1,50 %. « Bêtises, répond cet industriel, on sait très bien que le Premier ministre est intervenu lui-même pour rétablir cette taxe sans l'approbation de son ministre de la Santé parce qu'il ne voulait pas laisser penser que le gouvernement se montrait plus généreux avec l'industrie qu'avec les Français auxquels il réclame des efforts accrus. C'est une manœuvre politique ; ce n'est en aucune façon une décision économique. » Ce qui aggrave, aux yeux de notre interlocuteur, le cas du gouvernement et de Dominique de Villepin en particulier.
D'où cette lettre ouverte au Premier ministre, signée du président du Leem (Les Entreprises du médicament), au nom de l'ensemble de ses adhérents. Le courrier est paru dans la presse quotidienne nationale lundi ; il appelle le chef du gouvernement à revoir sa politique du médicament et à « renouer d'urgence le partenariat ».
Preuve de la détermination de l'industrie pharmaceutique : l'actuel président du Leem, Pierre Le Sourd, et son successeur désigné, Christian Lajoux, organisent aujourd'hui une conférence de presse commune pour donner force et solennité à « un mouvement de protestation sans précédent », résume un connaisseur du secteur.
Certes, les industriels mettent un certain espoir dans la réunion de la commission paritaire députés-sénateurs qui pourrait s'entendre pour que cette taxe sur le chiffre d'affaires soit abaissée ; mais pour beaucoup de patrons, il faut aller plus loin.
Ne pas accepter l'inéluctable.
« Il y en a assez, dit l'un d'eux, de ces atermoiements qui font que nous ne savons jamais ce qui nous attend. Alors que nous devons donner à nos maisons mères des prévisions et des budgets. »
« Il ne faut pas accepter l'inéluctable, et ne pas faire en sorte que demain la France soit un simple comptoir de ventes », avertit Pierre Le Sourd, qui fait allusion au fait que, demain, des multinationales pourraient ralentir leurs investissements avec des conséquences en matière d'emploi et de recherche. Le Dr Brigitte Calles, directrice du LIR (les Laboratoires internationaux de recherche), qui regroupe quinze filiales françaises de multinationales, ne dit pas autre chose lorsqu'elle insiste sur « les trente mille emplois que représentent ces entreprises en France et sur le fait que 40 % des nouvelles molécules aujourd'hui en développement concernent la cancérologie ».
Affaiblir l'industrie pharmaceutique, c'est, poursuit-elle, « mettre en cause ses capacités d'innovation et développement, en clair, ralentir le progrès thérapeutique ».
Pour le président du Leem, en tout état de cause, « il ne s'agit pas de pratiquer la surenchère ni de faire de quelconques menaces, ce n'est pas notre genre ni notre responsabilité. Mais nous voulons parler clairement. C'est ce que nous faisons dans cette lettre ouverte au Premier ministre, et c'est ce que nous ferons aujourd'hui avec Christian Lajoux, en précisant sans faux-fuyants les enjeux de la politique du gouvernement, notamment en matière d'emploi et de recherche. »
Les industriels du médicament sont aujourd'hui d'autant plus déçus que le gouvernement a installé, il y a plusieurs années auprès du Premier ministre, alors Jean-Pierre Raffarin, un comité stratégique des industries de santé pour décider des mesures utiles pour accroître la compétitivité des entreprises françaises et pour attirer sur notre territoire des firmes multinationales. Aujourd'hui, beaucoup se demandent à quoi sert cette instance « puisque les mesures d'économies récentes vont à l'encontre des décisions arrêtées par ce comité », dit l'un d'eux.
Taxes et contributions.
Les enjeux industriels sont indéniables : 40 000 emplois sur les 100 000 du secteur pharmaceutique seront renouvelés dans les dix ans ; les impératifs de la recherche clinique, l'essor des biotechnologies et les investissements importants que cela va nécessiter sont autant de données qui devront être prises en compte par les gouvernements, d'autant qu'un certain nombre de pays émergents ne négligeront aucun effort pour attirer ces industriels, au potentiel d'investissement important. « Mais sans doute, dit un patron, en commentant le contexte français, avons-nous été trop longtemps laxistes.Il est temps que cela change ».
Reste à savoir si ce discours sera entendu par les pouvoirs publics qui, s'ils sont conscients de cette équation, ne semblent pas décidés à renoncer à des économies, à des taxes, à des reversements et à des contributions qui leur permettent de boucher régulièrement certains « trous ».
Mais « le temps où nous servons de variable d'ajustement des comptes de la Sécurité sociale et de l'assurance-maladie doit être définitivement banni », disent presque d'une seule voix Pierre le Sourd et Brigitte Calles. Il n'est pas certain que l'on soit d'accord du côté de Matignon ou de Bercy.
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