Aucune guerre ne ressemble aux précédentes, et celle que les Etats-Unis conduisent en Afghanistan n'a rien à voir avec celle du Golfe.
George W. Bush a fait des choix très différents de ceux de son père : la coalition qu'il a organisée n'est pas militaire, mais diplomatique ; au lieu d'envoyer une armada de 500 000 hommes, il en a dépêché quelques milliers à peine, dont très peu, à ce jour, sont sur le terrain ; loin de vouloir épargner le régime en place à Kaboul, l'objectif affiché, après la destruction des réseaux terroristes et la capture éventuelle d'Oussama ben Laden, est d'installer un nouveau gouvernement afghan ; toutes les actions, militaires et diplomatiques, sont engagées dans le secret maximal qu'autorise une démocratie dotée d'une presse dynamique ; pas de communiqués triomphaux, pas de conférence de presse tenue par des généraux.
Travailler pour les autres
En même temps, la bataille, pour la première fois, est aussi intense aux Etats-Unis qu'en Afghanistan. S'il fallait à M. Bush un argument de plus pour justifier sa stratégie, les attaques au bacille de charbon le lui apporteraient. L'Amérique prend des coups dans le même temps où elle en donne. La légitime défense, qui ne pouvait justifier l'assaut contre l'Irak en 1991, explique en permanence le comportement américain.
De ce point de vue, et compte tenu de l'absence totale de discrimination des terroristes, les Etats-Unis font ce travail, qui n'est pas drôle, pour le compte du reste du monde. Et quoi qu'on ait pensé de M. Bush avant qu'il ne fût mis à l'épreuve par les incroyables attentats du 11 septembre, il a réagi avec détermination, avec patience, avec une relative modération dans le langage et, surtout, en prenant le temps de réfléchir à une riposte calculée pour que les coups portés à l'adversaire soient le plus efficaces possible.
M. Bush, qui apparaissait comme l'un des présidents les plus ignorants de l'histoire des Etats-Unis, a su écouter ses experts. Il sait, par exemple, qu'une victoire de l'Alliance du nord contre les taliban ne résoudrait pas l'épineux problème afghan ; il sait que le pays ne peut être gouverné que par une coalition de tribus et d'ethnies ; et même si le roi Zaher, 86 ans, apparaît comme un symbole un peu usé, le gouvernement américain ne compte l'utiliser que pour ce qu'il est précisément : un symbole d'unité.
Diplomatique, mais ferme
M. Bush a plus passé de temps depuis le 11 septembre à apaiser les craintes du monde arabo-musulman, à calmer les ardeurs vengeresses de ses concitoyens, à lancer une campagne de prévention contre le fléau du terrorisme qu'à couvrir l'Afghanistan d'un tapis de bombes. Grâce à Colin Powell, son secrétaire d'Etat, il est parvenu à maintenir aux côtés de l'Amérique le Pakistan sans lequel l'offensive contre l'Afghanistan eût été beaucoup plus aléatoire. Sa fermeté ne doit pas pour autant être mise en doute : il ne s'est guère laissé impressionner par les manifestations et les émeutes du monde arabo-musulman ; pour se concentrer sur son principal ennemi, Ben Laden, il a présenté comme des amis des pays, comme l'Iran ou la Syrie, qui n'en sont pas vraiment, mais que l'embrassade américaine étouffe un peu. En d'autres termes, il a activé ses alliés, surtout Tony Blair, qui a été son avocat zélé dans le monde arabe, et a neutralisé les gêneurs. Il a donc réalisé une synthèse entre amis et adversaires, entre guerre et diplomatie, entre présent et avenir.
C'est un effort remarquable et s'il n'en est pas l'auteur, c'est que, décidément, il est bien conseillé.
Tout son comportement actuel témoigne d'une indéniable plasticité intellectuelle, d'une capacité à s'adapter aux situations nouvelles et critiques, de cette faculté rare qui consiste à réagir à la fois vite et sans hâte, à faire des choix risqués en prenant le minimum de risques. De ce point de vue, l'administration américaine a été exemplaire : elle n'a pas fait un mouvement qui n'eût été calculé.
Or, la flexibilité conjoncturelle que l'on découvre chez M. Bush aura nécessairement un prolongement. Les événements l'aident à repenser son credo idéologique : la Russie de Vladimir Poutine, pour des raisons liées à la guerre de Tchétchénie, s'est rapprochée des Etats-Unis comme elle ne l'a jamais fait auparavant. Les gages qu'elle a donnés doivent être récompensés, et M. Bush ne pourra pas, après cette guerre, retourner à ses vieilles lunes, comme le bouclier antimissiles, sans associer toute l'Europe, Russie comprise, à son projet. Il ne pourra pas non plus n'éprouver que mépris pour l'environnement ; il ne pourra pas ignorer que le meilleur moyen, à long terme, de garantir la sécurité intérieure des Etats-Unis sera de changer progressivement l'image qu'elle donne d'elle-même au reste du monde : il devra bien, s'il veut éliminer le terrorisme, lutter contre la misère et l'ignorance qui l'alimentent ; il faudra bien qu'il augmente le budget de l'aide au tiers-monde ; il faudra bien qu'il admette qu'on ne peut pas favoriser la natalité dans des pays où le nombre de bouches à nourrir est excessif ; il faudra bien qu'il engage une partie de la richesse américaine dans la lutte contre le SIDA en Afrique et en Asie, avant que des pays ne s'écroulent économiquement et socialement sous le poids de la maladie.
L'écrasante réalité
Pour le moment, M. Bush bénéficie d'un consensus créé par la crise ; peu d'élus contestent, par exemple, les fonds exorbitants qu'il a alloués, comme dans une économie dirigée, à cette partie du secteur privé que menace la faillite. Mais, même pour les idéologues de la droite pure et dure, la leçon n'aura pas été inutile non plus : les théories conçues pour régimenter le monde, l'économie, la vie ne résistent guère à l'écrasante réalité des faits. On ne peut pas compter sur l'économie de marché, et sur elle seule, pour panser les plaies de la planète ou pour répondre à une crise aussi subite que gravissime. Il faut bien que l'Etat intervienne.
De la même manière, les ambitions d'un candidat à la présidence sont présentées sous la forme d'un programme capable de canaliser le cours des événements et de les plier à la volonté humaine. En réalité, les qualités du président, une fois qu'il a été élu, se mesurent selon sa capacité à réagir à un malheur qu'il n'a pas prévu, qui échappe à son contrôle et auquel il doit appliquer non pas sa philosophie mais le meilleur remède. Cela démontre l'immense vertu du pragmatisme et son corollaire, l'immense danger du dogmatisme.
Un regain de démocratie
Peut-être M. Bush a-t-il été favorisé parce que, au fond, il en savait peu et ne croyait à rien de particulier. Son engagement politique était moins sous-tendu par de fortes convictions que par les dettes qu'il a contractées avec le parti républicain et les forces qui lui sont associées, celles de la grande industrie. Une fois à la Maison Blanche, M. Bush a remboursé tous ceux qui lui avaient prêté main forte. Tout à coup, les attentats le libèrent de cette complicité avec le capital. La démocratie revient en force sous la forme d'un peuple d'électeurs qui, certes, crient vengeance, mais en même temps se demandent pourquoi l'Amérique est tellement haïe et lui demandent aujourd'hui de diriger ses efforts dans le sens d'une atténuation de la haine.
Ce n'est ni à cause d'Israël, ni à cause de la guerre du Golfe, ni à cause de son omniprésence dans le monde. C'est parce qu'elle est enviée et jalousée, trop riche sur une planète de pauvres, trop triomphante dans un environnement de défaites, trop démocratique et trop libre face à des continents où prospèrent les dictatures, le mépris des gens, le mépris de la vie. Trop achevée politiquement et économiquement par rapport à des pays qui ont deux ou trois cents ans de retard. Trop capable de se relever, avec une insolente santé, de ses plus graves revers. Trop indispensable.
M. Bush a réagi à l'agression qui a blessé l'Amérique. Mais lui et elle savent que, en définitive, ils surmonteront l'épreuve, que leurs moyens et leur puissance n'ont pas été entamés. Et alors il sera temps, pour la plus grande nation, de tendre la main aux miséreux.
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