LE TEMPS DE LA MEDECINE
SOMMES-NOUS aussi libres que nous le croyons ? Rien n'est moins sûr. Il semble que certains de nos choix, troubles du comportement ou maladies psychosomatiques soient déterminés par des mémoires ancestrales : deuils et traumatismes non surmontés par nos ascendants, qui nous sont transmis inconsciemment de génération en génération, et que nous manifestons sans le savoir. Il est vrai qu'une famille sans secrets, c'est plutôt rare ! Mort violente, suicide, inceste, liaison secrète, enfant hors mariage : autant de non-dits des générations précédentes qui peuvent nous miner.
Sigmund Freud, le premier, l'a formulé, dans « Moïse et le monothéisme » (1) : « L'hérédité archaïque de l'homme ne comporte pas que des prédispositions mais aussi des contenus idéatifs des traces mnésiques qu'ont laissées les expériences faites par les générations antérieures. » Mais c'est surtout Carl Gustav Jung qui a ouvert la voie d'une approche transgénérationnelle avec sa théorie de l'inconscient collectif. Dans les années 1960, Françoise Dolto écrit, dans « Tout est langage » (2) : « Ce qui est tu à la première génération, la seconde le porte dans son corps. » Puis Nicolas Abraham et Maria Torok élaborent la théorie du fantôme, ou transmission transgénérationnelle des secrets de famille et des non-dits.
Une pionnière.
Dans les années 1980, c'est la psychothérapeute Anne Ancelin-Schützenberger qui introduit en France la psychogénéalogie. Elle s'est intéressée à ce sujet à partir d'une réflexion de sa fille illustrant le syndrome d'anniversaire : « Tu te rends compte, Maman, que tu es l'aînée de deux enfants, dont le deuxième est mort, que papa est l'aîné de deux dont le deuxième est mort, que moi, je suis l'aînée de deux enfants dont le deuxième est mort... » Elle met alors au point la thérapie transgénérationnelle psychogénéalogique contextuelle clinique, qui consiste à traquer les loyautés invisibles et les identifications inconscientes à nos ancêtres dont nous répétons les tâches interrompues tant qu'elles ne sont pas terminées. C'est en publiant « Aïe, mes aïeux » (3) qu'elle est devenue célèbre dans le monde entier. Elle explique dans « Vouloir guérir » (4) que « les deuils non faits, les larmes non versées, les secrets de famille, les identifications inconscientes et les loyautés familiales invisibles pèsent lourd sur les enfants et les descendants. Ce qui ne s'exprime pas en mots s'imprime et s'exprime en maux. » Anne Ancelin-Schützenberger a travaillé pendant un grand nombre d'années auprès de cancéreux. En cherchant dans leur histoire, elle a constaté des répétitions ou des identifications à une personne aimée. Et souvent, le cancer s'était déclaré exactement à l'âge où une mère, un père, une tante, un grand-père... étaient morts d'une maladie grave ou dans un accident.
Reconstituer son arbre généalogique.
Sa méthode du génosociogramme consiste à faire dessiner par le patient son arbre généalogique sur 4 à 5 générations. Sont alors notés les moments clés de son histoire familiale (dates de naissances, décès, mariages), ainsi que les événements importants (maladies, accidents, déménagements...). Enfin, il faut replacer les ancêtres dans le contexte de l'époque pour comprendre les règles sociales et familiales alors en vigueur. Le travail avec le thérapeute consiste à combler les trous ou les non-dits de l'arbre, en utilisant la communication verbale et non verbale (silences, mouvements musculaires...).
Se libérer des loyautés familiales invisibles.
Découvrir chez nos aïeux les événements qui pourraient avoir une résonance avec nos propres problèmes et s'en libérer, tel est l'objectif de la psychogénéalogie. En pratique, la personne commence par dessiner son arbre. Puis elle interroge les membres de sa famille et complète ses informations en utilisant les méthodes d'investigation habituelles de la généalogie : recherches dans les registres des mairies, enquêtes dans les régions d'origine, etc. Au cours d'une séance thérapeutique, la prise de conscience brutale de la répétition peut créer une émotion telle chez le patient qu'elle le libère du poids de ses loyautés. Dans d'autres cas, c'est l'analyse des rêves, l'association d'idées ou le revécu d'une scène familiale dans le cadre du psychodrame qui peut permettre de revivre l'émotion qui a été occulté et de s'en libérer. La personne peut alors naître à sa propre histoire.
(1) Gallimard/Idées ,1948.
(2) Gallimard, 1995
(3) Desclée de Brouwer, 1995
(4) Desclée de Brouwer, 1993.
Un traumatisme peut se transmettre dans le corps
Le Pr Ghislain Devroede, chirurgien canadien, évoque dans un livre écrit en collaboration avec Anne Ancelin-Schützenberger, « Ces enfants malades de leurs parents »*, les cas d'enfants souffrant d'anisme (hypertonie du canal anal) et de constipation. Dans leur histoire familiale, on retrouve un non-dit : l'abus sexuel dans l'enfance de leur mère. Or il ont pu constater une normalisation du transit de l'enfant, dans certains cas immédiate, lorsque la mère a pu verbaliser la douleur de ce qui lui était arrivé. Enfin, ils citent le cas d'une petite fille qui, à 12 ans, s'empale sur une barre de fer par accident. Trois générations de femmes avant elles avaient été violées au même âge : la mère, la grand-mère et l'arrière-grand-mère ! Ainsi, il semble qu'un traumatisme non résolu à une génération puisse se transmettre dans le corps de l'enfant à la génération suivante.
* Editions Payot, 2003.
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