TOBIE NATHAN, élève de Georges Devereux, le fondateur de la discipline ethnopsychiatrie, est à l'origine du centre, en 1974, date de la loi sur le regroupement familial. Il a créé un lieu de mise en pratique sur les populations migrantes des données issues des recherches de Devereux, qui allait voir sur le terrain la manière dont les autres sociétés conçoivent les troubles et les traitent. L'équipe du centre a passé des conventions avec un certain nombre d'institutions intéressées par le type de travail spécifique (aide sociale à l'enfance, conseils généraux, tribunaux pour enfants) et intervient donc en deuxième intention, à la demande d'autres travailleurs sociaux, voire des services hospitaliers de psychiatrie. Les enfants et les adolescents sont des migrants ou enfants français issus de familles migrantes.
« Le dispositif fonctionne avec un certain nombre de principes, explique Catherine Grandsard : on reçoit le patient avec sa famille et les intervenants sociaux, en groupe de cothérapeutes, pour des consultations que l'on peut caractériser de "psychothérapie consultative". » L'équipe est pluridisciplinaire, avec plusieurs psychologues formés à la psychologie occidentale et souvent originaires de pays divers, des anthropologues, des psychiatres - mais qui n'interviennent pas pour prescrire -, des travailleurs sociaux (éducateurs, assistantes sociales). Les conseils et les soins sont toujours donnés en concertation. « Nous avons le souci constant de construire un dispositif le plus adapté possible à la problématique. Avec des notions de médiation, de traduction et de confrontation des différentes théories d'approche des désordres. »
Un personnage central de la consultation.
La consultation peut réunir vingt-cinq personnes et durer plus de deux heures. Un personnage clé est le « médiateur ethnotechnicien », activité inventée par Tobie Nathan. Il a souvent acquis une formation de psychologue ou de travailleur social ou un diplôme d'études supérieures à l'université. Il a à la fois une compétence clinique et une connaissance approfondie des soins pratiqués dans le monde de la personne qui consulte. Il sert aussi de traducteur au sens large, c'est-à-dire qu'il traduit la langue dans les deux sens, et, aussi, il fait apparaître les concepts et les modes de pensée de la culture à laquelle appartient la personne. Il aide à donner des explications. Une personne est présentée comme déprimée. On lui demande : « Dans ton monde, qu'est-ce qu'on dit ? »
Il faut savoir manier le groupe pour que cela ne soit ni lourd ni intimidant pour le patient. Une série de techniques sont utilisées à cet égard (place des personnes, ordre de la parole...).
« Nous avons l'habitude de faire apparaître les différents mondes. Il ne faut pas penser les gens uniquement à partir des logiques de notre culture. Nous nous efforçons d'être à la hauteur de la complexité de la situation pour des gens souvent pris dans des problématiques multiples, de santé, de couple, de famille, économiques... », souligne Catherine Grandsard.
Pour prendre un exemple, dans une famille congolaise, à un moment ou à un autre, la sorcellerie sera évoquée.
Cela implique de comprendre comment on pense l'action de sorcellerie. Est-ce que l'on peut traiter l'enfant qui est accusé d'être un sorcier ? Beaucoup d'enfants congolais sont placés dans des familles d'accueil à cause de cela. Cette question est très présente en Afrique centrale. « Cela montre l'aspect d'apprentissage constant pour nous », indique C. Grandsard.
En l'espace de six mois, trois consultations de cette nature ont lieu. Outre un travail d'évaluation de la situation, l'implication de la personne, la diversité des intervenants a la plupart du temps un effet thérapeutique. Un rapport est ensuite rédigé pour être remis au juge. Il donne un éclairage de la situation et comporte des recommandations de soins, des conseils éducatifs, de placement ou, au contraire, de retour dans la famille, de soins dans le pays d'origine, etc.
« Nous recevons beaucoup de jeunes en situation de rupture, lorsque beaucoup de dispositifs ont été épuisés. Depuis quelque temps, nous voyons arriver des mineurs étrangers isolés qui arrivent seuls en France. » Le centre sert aussi de médiateur (entre parents et enfants, un mari et sa femme...).
Ce type de travail spécifique a donné lieu à d'autres consultations au centre Devereux. L'une s'occupe des personnes qui ont eu une expérience de type sectaire. Une autre s'adresse aux personnes en grande précarité, en collaboration avec une association d'insertion. Une autre orientation de recherche très importante du centre concerne les traumatismes intentionnels, comme la torture.
Le site : www.ethnopsychiatrie.net.
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