Un humanitaire de retour après 9 mois de mission

« La médecine que j'ai enseignée au Darfour »

Publié le 06/06/2007
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LOIN DES CAMPS gigantesques où s'entassent 2 millions de réfugiés, dans des villes ou des villages où les populations civiles meurtries par la guerre tentent de retrouver un semblant de vie normale : Nyala, la base arrière d'AMI (Aide médicale internationale), au Sud, et les deux bases opérationnelles, Khor Abache, dans la région de Shearia, au Nord-Est, en secteur rebelle (base fermée pendant plusieurs mois en 2005 pour raisons de sécurité) et Ed Al Fursan, au Sud-Ouest, en secteur gouvernemental. Le Darfour profond, avec ses partages de territoire compliqués, entre mouvements rebelles, troupes du régime de Khartoum et bandes incontrôlées. C'est là, dans ce triangle, que le Dr Gérard Mouton, généraliste orléanais préretraité de 62 ans, vient de passer neuf mois, du 1er septembre au 31 mai. Avec les équipes d'AMI, l'une des dernières ONG qui continue à intervenir dans ce secteur de 235 000 habitants pour tenter de leur épargner une catastrophe humanitaire, en assurant les besoins de santé locaux ainsi qu'une surveillance nutritionnelle et épidémiologique.

Comme dans ses précédentes missions, en RDC et en Afghanistan, le Dr Mouton a privilégié au Darfour ce qui fut toujours sa passion en France, comme chargé de cours en troisième cycle de médecine générale, à la faculté de Tours : la formation médicale. Une vingtaine d'assistants médicaux (des super infirmiers), d'infirmiers, de sages-femmes ont été formés par ses soins. «Si vous faites 7000km pour aller soigner des patients, autant rester chez vous, où vous en trouverez toujours, explique-t-il. Pour ma part, ma motivation, qui me fait quitter ma femme, ma famille, mon pays, c'est d'apporter une formation aux professionnels locaux. Je préfère repartir en laissant sur place quelqu'un qui est capable de soigner, plutôt que quelqu'un que j'ai guéri.»

Paludisme et anémies.

Bien sûr, ceci n'empêche pas cela. A Khor Abache, comme à Ed Al Fursan, le généraliste a contribué à la remise en état d'une demi-douzaine d'unités d'hospitalisation de courte durée (SSU, Short stay units), dans le cadre des partenariats entre l'ONG, l'OMS et le ministère soudanais de la Santé. Il a aussi collaboré au redémarrage de la pharmacie centrale de Nyala, en développant un outil informatique prévisionnel d'aide à la gestion et à l'épidémiologie.

«Le problème de santé numéro un au Darfour, résume-t-il, c'est le paludisme, qui sévit énormément sur toute l'année, y compris pendant la saison sèche. On applique le protocole soudanais, qui est très efficace. La population souffre énormément d'anémies, sans qu'il soit possible de déterminer, faute de labos, si elles sont carentielles ou hémolytiques. Toujours est-il que les avortements sont nombreux. Beaucoup d'infections urinaires non traitées sont aussi présentes. Peu de traumatologie, en revanche.»

Dans cette population rurale, les stigmates de la guerre et du génocide sont peu visibles. «Je me souviens d'une jeune veuve pathétique de 26ans, raconte le Dr Mouton, avec ses trois enfants. Son mari, ses oncles avaient été tués et, en raison de son anémie, elle était incapable de cultiver son champ pour pourvoir à la subsistance familiale. Devant un cas pareil, que faire? Je l'ai laissée repartir avec quelques gélules de fer. On se sent alors terriblement impuissant.»

Se préserver.

Mais, «le plus souvent, poursuit le médecin d'AMI , on évite d'entrer dans la vie des gens et de poser des questions sur l'entourage et les séquelles de la guerre. Cette distance que l'on observe est sans doute ce qui permet de tenir. Personne n'est capable de porter toute la misère du monde.»

Se préserver est d'autant plus nécessaire que les Darfouris sont d'un contact difficile. «Beaucoup sont cassés dans leur tête, ils ne sont pas dans une logique de reconstruction et de retour à la vie, tout au plus se limitent-ils à la survie. Je pense, par exemple, au ounada (le maire) d'Ed Al Fussan, dont la maison, équipée d'une parabole satellitaire, a été plusieurs fois détruite. Il survit aujourd'hui sous une simple tente.»

Pour se préserver des violences qui peuvent survenir à tout moment, les ONG vont constamment à la pêche aux informations. Entre organisations et auprès de l'Ocha (bureau des coordination de l'humanitaire, à l'ONU). «Pour moi, poursuit-il, il n'y avait qu'une attitude possible: m'en remettre totalement aux directives de notre logisticien en charge des questions de sécurité.»

Pendant la mission du Dr Mouton, les équipes d'AMI ont essuyé quatre agressions. Alors qu'il circulait en convoi entre Khor Abache et Niteiga, en zone dite grise, c'est-à-dire hors de tout contrôle bien défini, lui-même a été victime d'une attaque. «Un groupe d'hommes nous a menacés avec des kalachnikovs. Nous avons discuté via notre interprète et ils nous ont finalement laissés repartir en gardant l'agent de notre enveloppe de sécurité. Un humanitaire mort ou blessé n'intéresse de toute manière personne. Je n'en dirai pas autant pour ce que j'ai expérimenté en RDC, au contact d'enfants soldats aux yeux dilatés par la drogue et avec lesquels le pire peut toujours survenir.»

Le Dr Mouton est rentré la semaine dernière, conformément à ce que prévoyait son contrat. Il a perdu trois kilos, soumis à un régime alimentaire essentiellement à base de riz et de nouille. «Je me sens un peu vidé, avoue-t-il, après ces mois passés à vivre dans des conditions extrêmement rustiques, dans des maisons de paille, où on se lave au seau, avec deux ou trois heures d'électricité par jour. Bien sûr, il y a eu des passages à vide. Je les combattais en m'isolant et en écoutant de la musique baroque sur mon ordinateur. Bach et Vivaldi sont un bon traitement.»

Il va lui falloir maintenant, comme après chaque mission, un peu de temps pour retrouver son enthousiasme naturel. Mais le généraliste orléanais rentre heureux, affirme-t-il, de sa mission au Darfour : «Quand j'ai revu, en partant, Hashim, un médecin assistant de 33ans, qui examinait ses patients selon les méthodes que je lui avais enseignées, tout autrement que lorsque je l'avais rencontré, ce fut pour moi un moment de bonheur.»

Des corridors humanitaires ?

Le sommet du G8, qui se tient jusqu'à demain à Heiligendamm (nord-est de l'Allemagne), doit aborder la question du règlement du conflit du Darfour. Le président Sarkozy devrait exposer à ses partenaires la proposition de mise en place de « corridors humanitaires », telle que l'a élaborée son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, une opération menée par voie aérienne depuis le Tchad, pour assister les populations du Darfour.

La plupart des grandes ONG françaises implantées au Soudan expriment leur réticence, redoutant les conséquences d'une opération militaire, quelle qu'en soit la forme, et préféreraient des efforts diplomatiques. C'est en particulier la position du Dr Chantal Aubert Fourmy, présidente d'AMI et c'est aussi celle du Dr Gérard Mouton, qui «ne croit pas en une solution globale, immédiate et rapide du conflit. On n'arrivera à rien en associant l'humanitaire au militaire; il faut se donner le temps de la palabre entre les différents acteurs, sachant que les rebelles revendiquent avant tout la redistribution des richesses et l'accès aux services publics, c'est-à-dire l'éducation et la santé pour tous.»

> CHRISTIAN DELAHAYE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8180