Délinquance sexuelle

La médecine peut-elle prédire la récidive ?

Publié le 25/11/2011
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Au-delà de l’émotion, le viol et le meurtre de la jeune collégienne de Chambon-sur-Lignon suscitent beaucoup d’interrogations y compris sur le plan médical. Pour le Pr Roland Coutanceau, psychiatre criminologue et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, si l’analyse psychiatrique en tant que telle ne permet pas toujours de prédire la dangerosité d’un patient, l’analyse criminologique des actes commis peut être révélatrice.

Crédit photo : ©ODILE JACOB

Le Généraliste Le drame de Chambon-sur-Lignon soulève des interrogations quand à la prise

en charge médicale du lycéen mis en cause. Selon vous y-a-t-il eu des dysfonctionnements sur ce plan ?

Pr Roland Coutanceau. Il n’y a pas eu de dysfonctionnement dans la forme : le juge d’instruction a fait son travail, l’expert a fait son expertise, et il y a eu la mise en place, après les 4 mois d’incarcération, d’un suivi à la fois éducatif et thérapeutique. Ceci étant, ce qui s’est passé révèle sans doute un certain nombre de pratiques que l’on pourrait améliorer. Notamment, on peut se demander si l’on n’aurait pas pu mieux apprécier le risque en incluant dans l’expertise une approche criminologique. En effet, lors de l’évaluation d’un sujet qui a commis une agression sexuelle, il y peut y avoir deux axes d’évaluation. Le premier explore la personnalité en elle-même, dans un travail médical classique de diagnostic. Ensuite, il y a un deuxième axe qui est un peu différent. On ne demande plus à un psychiatre ou à un psychologue de parler d’un homme mais d’analyser son acte et ce qu’il nous apprend. C’est l’axe criminologique. Or si, en général, les expertises incluent toutes l’évaluation de la personnalité, cet axe criminologique n’est pas toujours présent.

Pourtant certaines caractéristiques du passage à l’acte peuvent être révélatrices ?

Pr R.C. Quand on analyse le passage à l’acte, on peut mettre en avant des éléments du mode opératoire qui sont statistiquement plus à risque de récidive. Comme le fait d’agresser une victime inconnue, d’utiliser une arme, de séquestrer la victime, de l’humilier ou d’agir avec sadisme. Cela ne signe pas à coup sûr la récidive mais ce sont des facteurs clignotants à prendre en compte. Ainsi avec quatre ou cinq éléments criminologiques, on peut donc tenter de trier entre eux les gens peu, moyennement ou plus dangereux. Dans le cas présent, si j’avais eu connaissance du premier passage à l’acte, j’aurais incité à la prudence avec ma casquette de criminologue mais pas de psychiatre ; c’est pour ça que je n’ai rien à dire sur l’expertise de mon collègue psychiatre.

La récidive est-elle fréquente parmi les agresseurs sexuels ?

Pr R.C. Non, selon des études réalisées dans les pays anglo-saxons avec un suivi de 30 ans, il y a plus de 80 % des sujets qui ne récidivent jamais et dont l’acte sexuel transgressif unique va être le seul élément de leur carrière judiciaire. Tout le défi, c’est d’essayer de repérer les gens qui vont être dans les 20 % restant.

Y a-t-il généralement une pathologie mentale sous-jacente ?

Pr R.C. La plupart des sujets qui commettent des agressions sexuelles ne sont ni psychotiques, ni malades mentaux, ni bipolaires. Ce sont des sujets normaux qui ne sont pas non plus névrotiques. Ils ont, en revanche, des troubles du caractère avec des éléments d’immaturité, des difficultés à contrôler leur impulsivité ou encore une intolérance à la frustration. Or si l’on sait bien s’occuper des pathologies psychiatriques lourdes ou traiter les troubles névrotiques (troubles obsessionnels compulsifs, phobies sociales...), ce troisième champ des troubles de la personnalité a été un peu laissé en jachère. C’est un champ thérapeutique nouveau qui suppose des approches spécifiques.

Quelle est la place des traitements médicamenteux ?

Pr R.C. Le traitement psychotrope est le plus souvent secondaire, en cas d’anxiété ou de dépression associées. Concernant la castration chimique, elle concerne surtout les actes pédophiles chez des patients présentant une obsession sexuelle permanente, avec une fixation fantasmatique et survenant sur une personnalité très égocentrée. Contrairement à ce qu’on a pu penser à une certaine époque, les indications sont donc plutôt limitées.

Le gouvernement vient de se prononcer en faveur d’un suivi pluridisciplinaire pour ce type

de patient. Est-ce que cela va dans le bon sens ?

Pr R.C. Pour moi, la pluridisciplinarité, c’est avant tout associer une expertise psychiatrique et une analyse criminologique centré sur le pourquoi le comment, le mode opératoire de l’acte... Une bonne expertise, aujourd’hui, doit être à la fois psychiatrique, psychologique et psychocriminologique.

* Roland Coutanceau est notamment l’auteur des «?Blessures de l’intimité?» (Editions Odile Jacob) et le coauteur de « La violence sexuelle, approche psycho-criminologique », Editions Dunod.

Propos recueillis par Bénédicte Gatin

Source : Le Généraliste: 2583